
L’Unicef publie ce mardi 19 novembre une étude riche d’enseignements sur la situation préoccupante des enfants sur le plan de la pauvreté et ses conséquences. L’analyse du sociologue Serge Paugam, auteur du rapport.
À la veille de la Journée internationale des droits de l’enfant, l’Unicef publie ce mardi 19 novembre les résultats d’une consultation nationale auprès des 6-18 ans. Cette sixième édition (une tous les deux ans depuis 2013), intitulée « Enfants et adolescents en souffrance », met la lumière sur « les privations, le déficit de protection et le rejet social » subis par les plus jeunes. L’étude révèle des « inégalités préoccupantes » et une accumulation des privations qui alimentent un sentiment d’exclusion « profond ». « Ces enfants ne peuvent pas grandir dans des conditions satisfaisantes, alerte Adeline Hazan, présidente de l’Unicef. Ils ont droit à un avenir, et il est de notre devoir de leur offrir les moyens de le construire. » Éclairage avec le sociologue spécialiste de la pauvreté Serge Paugam, auteur du rapport. (...)
on sait quels sont les facteurs structurants du processus de pauvreté et d’exclusion chez les adultes : un ensemble de privations, un déficit de protection et un sentiment de rejet social. La question était de savoir si ce système pouvait s’appliquer dès l’enfance, avant que cela soit un processus de disqualification sociale d’adultes. Pouvait-on voir les premiers éléments dans le processus de socialisation ? Le résultat le plus important de la consultation le montre : on voit le processus de pauvreté et d’exclusion très nettement à l’œuvre déjà chez les enfants. (...)
La consultation montre que ces privations matérielles sont très souvent corrélées à d’autres privations immatérielles, comme l’accès au savoir, à la santé (15 % ne vont jamais chez le dentiste), à une alimentation saine (un enfant sur cinq ne mange pas trois repas par jour) ou encore à la culture et à des activités sportives (44 % ne pratiquent pas de sport en dehors de l’école, 67 % sont privés d’activités culturelles). On examine que ces privations se cumulent dans beaucoup de cas. (...)
On a pu constater que 12 à 22 % des participants à la consultation se déclarent, d’une façon ou d’une autre, en déficit de protection. Sur la question de la reconnaissance – se sentir utile, à sa place, respecté, accueilli –, on montre que 11 %, soit un enfant ou adolescent sur dix, font déjà l’expérience d’un rejet social et que 25 % ne se sentent pas écoutés ou reconnus par les adultes de leur établissement scolaire. (...)
On pourrait presque dire qu’il s’agit d’un triangle, où chaque sommet revêt une forme d’exclusion : la privation matérielle, le déficit de protection et le rejet social, trois dimensions structurellement liées qui agissent ensemble chez les enfants, exactement comme chez les adultes. On pourrait considérer l’enfance comme une période d’apprentissage, d’insouciance, or la réalité nous montre que c’est loin d’être le cas pour tous : une partie d’entre eux est confrontée dès le plus jeune âge à l’exclusion.
Comment les enfants le perçoivent-ils ?
À travers les privations, on perçoit l’écart par rapport à un système normatif. Les enfants le savent, ils évoluent dans un système normatif de consommation, d’accès à un certain nombre de facteurs du bien-être, et quand ces conditions ne sont pas réunies, cela crée déjà un sentiment de distanciation par rapport à la norme et au groupe social. C’est cela l’exclusion. Les enfants arrivent très bien à identifier ces différences dans leurs relations d’amitié, dans leur façon de tisser des liens à l’école. (...)
Un élément ressort systématiquement : les enfants vivant dans une famille monoparentale subissent globalement davantage de privations, se sentent moins protégés que les autres dans leur vie quotidienne et ont ce sentiment de ne pas trouver leur place dans la structure sociale. Cela doit nous interroger, car les familles monoparentales sont très nombreuses aujourd’hui. Dans l’immense majorité des cas, elles ont à leur tête une mère, qui souvent éprouve des difficultés au quotidien à joindre les deux bouts et à apporter à ses enfants de la protection et de la reconnaissance, comme pourraient éventuellement le faire des parents qui ont davantage de possibilités de soutien et de solidarité entre eux. Bien souvent le discours qui est tenu sur les personnes en situation de pauvreté a tendance à les culpabiliser, à considérer que ce sont des profiteurs de l’assistance, que ces familles ne savent pas s’occuper de leurs enfants… Nous avons besoin d’une politique familiale pour soutenir les familles monoparentales plutôt que de les stigmatiser. (...)
On a abandonné la politique publique préventive de tous les quartiers : on a le plus souvent fait du saupoudrage, mais en termes budgétaires, la politique de la ville n’a pas tenu ses promesses. (...)
On a tendance à intervenir et à penser la politique en fonction des adultes. On parle très rarement des enfants, or ils sont un levier important. S’intéresser aux enfants, c’est penser la façon dont l’avenir de notre société va se construire (...)
Agir sur l’enfance, c’est donc toucher la société dans son ensemble.