
Comme les autres, le département ariégeois commence à voter mercredi pour les représentants à la chambre d’agriculture. Dans ce territoire durement touché par les crises agricoles, la Confédération paysanne est en position favorable.
Quelle sera la première décision que vous prendrez à la chambre d’agriculture ? » Dans la salle des fêtes de Rieucros, petite commune de la plaine ariégeoise, un agriculteur pose la question aux candidat·es de la Confédération paysanne aux élections syndicales agricoles, venus présenter leur programme. Ce soir-là – une semaine avant que ne s’ouvre le scrutin, qui démarre mercredi 15 janvier pour une quinzaine de jours –, quelque vingt-cinq personnes, pour la plupart inconnues du syndicat marqué à gauche, assistent à la réunion publique.
« La première décision, ce sera l’ouverture et la transparence, répond la tête de liste, Christophe Gouazé. On ouvrira la chambre à tous les syndicats, pas comme cela a été fait jusque-là : la liste majoritaire excluait d’emblée tous les autres. »
En 2019, date des dernières élections syndicales, la Confédération paysanne avait pourtant recueilli 38 % des voix dans ce département qui figure parmi les plus pauvres du territoire hexagonal en termes de revenus agricoles. Mais en raison du mode de scrutin très spécifique à ces élections, qui donne une forte prime au parti arrivé en tête, elle n’avait obtenu que trois sièges sur les trente-trois élu·es de la chambre.
Et la FNSEA, victorieuse, ne lui avait pas accordé de poste de vice-président, ni de siège dans les commissions décisionnaires de la chambre. Le syndicat minoritaire n’avait accès qu’aux trois sessions annuelles. « À aucun moment du mandat nous n’avons pu participer à des projets de développement. On nous a fermé la porte. » (...)
« Nous pensons que les agriculteurs ne doivent pas se transformer en énergéticiens, qu’il faut trouver d’autres solutions pour la question du revenu, répond la tête de liste à l’interpellation d’un agriculteur du secteur séduit par le photovoltaïque. Mais n’ajoutons pas de divisions entre nous, on est déjà assez divisés comme ça dans le monde agricole… Ce qu’il faut, c’est trouver des compromis. »
La FNSEA en rangs dispersés
Les divisions, l’Ariège en fait particulièrement l’expérience cette fois-ci : la FNSEA a fait scission dans le département au moment de la préparation des listes syndicales, à la fin de l’été. (...)
La réunion publique de la FNSEA à laquelle Mediapart assistera sera en revanche bien différente. Organisée sur une exploitation de La Bastide-de-Lordat, à destination des cadres du syndicat plutôt que des curieux, elle commencera par une demi-heure de justifications sur les bisbilles locales et le pourquoi du maintien de la liste syndicale. Le programme ne sera présenté qu’à la fin, très succinctement. Il est surtout répété qu’il faut voter FNSEA pour continuer de peser comme syndicat… (...)
Mais dans le contexte local, l’argument aura du mal à porter. C’est plutôt l’engagement des personnes sur le territoire qui compte (...)
Préparer l’après
L’élevage, c’est à la fois la richesse et le talon d’Achille du département. Doté de nombreuses estives en montagne où les bêtes transhument l’été, il a été l’un des territoires les plus touchés par les épidémies qui ont ravagé les cheptels cet été. La fièvre catarrhale ovine a décimé les troupeaux de brebis, tandis que la MHE (maladie hémorragique) s’est répandue dans les élevages bovins. Parallèlement, l’abattoir de Saint-Girons, sauvé de la fermeture il y a une quinzaine d’années, est à nouveau en très mauvaise posture.
Christophe Gouazé, la tête de liste de la Conf’, a fait partie de ceux qui ont œuvré à la préservation de cette structure, qu’il a dirigée pendant dix ans. S’il est élu à la présidence de la chambre d’agriculture, ce sera l’un de ses combats. « Il nous faut trouver un nouveau projet pour renouer avec la réussite économique que l’abattoir a connue. Si on perd cet outil, la viande sera écoulée par des grosses coopératives, loin des lieux de la production, et les boucheries locales vont fermer. »
Au cœur du programme du syndicat de gauche, il y a surtout la volonté d’« installer ». Autrement dit, attirer les nouvelles générations en agriculture, pour faire face au départ en cours, massif, des anciens et éviter l’agrandissement des fermes – un non-sens écologique. (...)
L’eau, enjeu central du scrutin
Il y a deux ans, le lac de Montbel, où puisent une partie des irrigants ariégeois, s’est retrouvé à sec. Un projet est dans les tuyaux du conseil départemental pour y adjoindre le cours d’eau du Touyre. La Conf’, farouchement opposée à cet aménagement, se fait attaquer là-dessus par les têtes de liste concurrentes : elle est trop proche des « environnementalistes », jugent d’une même voix Hervé Peloffi pour la FNSEA et Philippe Lacube, le candidat dissident, tous deux prompts à souligner qu’elle constitue à ce titre « un danger ».
« Le poumon économique de l’agriculture ariégeoise, c’est la production de semences, défend Hervé Peloffi, fervent promoteur du projet du Touyre. Or on ne peut pas faire de maïs semence sans irrigation. » De son côté, Philippe Lacube prône plutôt une réflexion sur les lacs de montagne et leurs barrages hydroélectriques : faire en sorte de garder cette eau pour l’Ariège plutôt que de la laisser partir au bassin toulousain...
La gestion de l’eau, dans ce département bien doté du fait de l’écoulement des montagnes mais qui contribue largement à l’approvisionnement de la plaine toulousaine, sera, à l’évidence, l’une des lignes de fracture de l’élection. (...)
Mais l’éparpillement des votes FNSEA entre la liste officielle et la liste autonome pourrait bien amener la Conf’ à la tête de la chambre, dans l’un des départements où elle fait traditionnellement ses meilleurs scores et où la participation est plus élevée que la moyenne nationale (66 % contre 46 % des exploitant·es en 2019).
L’Ariège est aussi l’un des rares endroits, avec les Alpes-Maritimes, où la Coordination rurale (CR), qui penche à droite de la FNSEA, ne présente pas de liste cette année. Syndicat très vindicatif, parfois violent, dans le mouvement de colère agricole, la CR ambitionne de conquérir avec ces élections davantage que les trois chambres qu’elle dirige aujourd’hui.
La Confédération paysanne, qui a répondu d’une tout autre manière à la colère agricole – par des actions pacifiques et symboliques visant des cibles de l’agroalimentaire, des mots d’ordre axés sur la défense du revenu et d’une agriculture écologique –, esquisse dans cette campagne des propositions concrètes, à l’échelle de ce que peut faire une chambre d’agriculture, tout en défendant ses positions sur ce qui se décide plutôt à Paris ou à Bruxelles.
« Présider une chambre d’agriculture, c’est pouvoir mettre la main sur la formation et l’accompagnement. Pour la Conf’, cela veut dire enclencher un cercle vertueux pour changer la politique agricole du département et aller vers la transition écologique. Ce n’est pas un changement brutal, c’est un cheminement », assure Christophe Gouazé.