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Elles subissent des fake news et des menaces Comment les associations humanitaires sont devenues d’« affreux gauchistes » aux yeux de certains médias et politiques
#associationsHumanitaires #ONG
Article mis en ligne le 9 mai 2025

(...) C’est un nouvel épisode outrancier qu’a dû encaisser la Ligue des droits de l’Homme (LDH). Pour avoir contesté devant un juge l’utilisation de drones à Rennes (35) pour « lutter contre le narcotrafic » – et au passage, observer indistinctement toute la population – voilà que l’association âgée de 126 ans a été accusée de faire « le jeu des narcotrafiquants et des voyous qui vivent de ce commerce de la mort ». Et pas par n’importe qui : Bruno Retailleau, ministre de l’Intérieur. Si ce dernier cumule les outrances – il a déclaré dès ses premiers jours au ministère que « l’État de droit » n’était ni « intangible » ni « sacré » – l’épisode est représentatif du climat vécu par les associations humanitaires et de défense des libertés, comme la LDH mais aussi Amnesty International, Médecins du monde ou Médecins sans frontières (MSF).

« On ne s’attendait pas à ce que notre travail soit autant décrédibilisé », s’inquiète Nathalie Godard, directrice de l’action d’Amnesty France, organisation de défense des droits humains à l’international. Certains médias parlent de leur « dérive » ou de leur « manipulation », les qualifient de wokistes, d’éco-terroristes ou d’islamo-gauchiste… Des personnalités politiques, parfois à l’origine des termes, mentionnent le retrait de leurs subventions ou leur possible dissolution. « Ce qui nous inquiète, c’est qu’il y ait une normalisation à attaquer des organisations comme la nôtre », souligne la directrice de l’action. Ces ONG se revendiquent comme « indépendantes » ou « impartiales » depuis leur création et affirment ne jamais avoir modifié de ligne directive ou de valeurs. Pourtant, ces organisations de défense des droits ont l’impression qu’une bascule s’opère dans la manière dont est considéré et traité leur travail (...)

Le tournant du 7 octobre

Pour ces ONG, la prise de parole sur certains sujets comme ceux sur l’immigration en France – à Calais et Grande Synthe notamment – ont renforcé la défiance à leur égard. La LDH et Amnesty parlent également d’une polarisation extrême. « Il y a l’idée qu’il y a deux camps, celui du Bien et celui du Mal », constate Nathalie Tehio, présidente de la LDH. « Si vous ne faites pas partie d’un camp alors vous faites partie de l’autre. »

Les événements du 7 octobre 2023 entre Israël et Gaza auraient aussi marqué un réel tournant. « Si on remet en cause l’autorité israélienne, alors on est pro-Hamas », indique Nathalie Godard, d’Amnesty France. Une polarisation alimentée par des personnalités politiques, comme lorsque l’ancien premier ministre Manuel Valls questionne la complicité des ONG avec le Hamas. Président de Médecins du monde, Jean-François Corty dit ne s’être jamais positionné d’un côté ou de l’autre du conflit, mais a fait l’objet de vives attaques. Son numéro de téléphone a été rendu public sur Telegram par des activistes de « la Brigade juive ». (...)

Des propos totalement faux mais qui entraînent sur plusieurs mois des dizaines d’appels contenant insultes ou menaces de mort.

Un paysage médiatique qui se radicalise

« Avant on travaillait avec tous les médias importants, puis c’est devenu de plus en plus compliqué », relate Samuel, responsable des relations médias à Amnesty International France. « À l’image du reste de la société, les médias se sont polarisés. » (...)

Le passage depuis quelques années de médias possédés par le milliardaire Vincent Bolloré à l’extrême droite, comme CNews ou plus récemment le Journal du Dimanche (JDD) – où chroniqueurs et éditorialistes martèlent des discours xénophobes et islamophobes, quitte à tordre la réalité – n’est pas étranger aux dossiers à charge contre les ONG. (...)

Samuel d’Amnesty regrette également qu’il ne soit plus systématiquement contacté lorsqu’un sujet à charge est publié sur l’organisation afin de pouvoir rétablir certains faits, un principe pourtant essentiel dans le journalisme. (...)

Diffusion d’informations erronées

Les associations s’inquiètent également de la diffusion de fausses informations à leur égard que ce soit de la part de médias comme de personnalités politiques. (...)

Des réactions politiques plus offensives

Outre les journalistes, les relations avec les gouvernements ont changé estime la présidente de la LDH Nathalie Tehio. « On ne peut pas dire qu’il n’y a plus du tout de contact, mais il y en a moins », estime-t-elle.

Le non-respect des libertés individuelles dans le cadre d’une lutte contre la criminalité, comme avec la LDH à Rennes ou le retour de débats comme celui sur le « délit de solidarité » contribuent à noircir l’image des associations. Outre une mauvaise image, ces ONG risquent gros depuis 2021 et la loi contre le séparatisme. Selon celles-ci, toutes les organisations qui bénéficient de subventions publiques doivent « respecter un contrat d’engagement républicain » basé sur plusieurs critères. « Cette loi a jeté un regard suspicieux sur toutes les associations, mais surtout celles contestataires », remarque Nathalie Tehio. Le mouvement Alternatiba à Poitiers a failli voir ses subventions disparaître car le préfet de la Vienne a estimé qu’il ne répondait pas au contrat d’engagement. La cause : avoir organisé des ateliers sur la désobéissance civile dans le cadre d’un village des alternatives. (...)