
Les deux magnats se sont rencontrés cet hiver. Une partie de la Silicon Valley glisse vers la droite extrême, prônant la supériorité de la technologie sur les règles démocratiques.
Elon Musk et Donald Trump en mai 2020, en Floride.
Mais pourquoi Donald Trump s’est-il trouvé un soudain intérêt pour la Silicon Valley ? Dans ce bastion ultralibéral, où près de 38 % de la population est née à l’étranger, à peine 25 % d’entre eux ont voté pour lui en 2020, manifestant une certaine indifférence sinon de la méfiance à l’égard de son discours populiste. « Une personne sur deux a l’anglais pour seconde langue », remarque Fred Turner, professeur de communication à Stanford, spécialiste des technologies.
Une raison évidente est que la Vallée est devenue au fil des ans un mécène prépondérant des campagnes électorales. « Beaucoup de gens viennent ici à la recherche d’argent et de pouvoir », souligne Fred Turner. Et « avoir des amis dans la tech, c’est avoir accès à beaucoup de moyens financiers », complète l’analyste Carolina Milanesi, fondatrice de The Heart of Tech, qui fournit entre autres des expertises en matière d’environnement et de gouvernance. Comme en 2020, la course au cash passe à nouveau par la baie de San Francisco : Joe Biden y est venu lever des fonds à la mi-mai, son concurrent conservateur le 6 juin. Mais si les démocrates attirent 72 % des dons de la tech contre à peine plus de 22 % pour les républicains, selon une étude du groupe non partisan OpenSecrets, il faut toutefois scruter au-delà du seul volet financier. En frayant avec l’idéologie libertaire qui caractérise la Silicon Valley, Donald Trump réussit à séduire de plus en plus d’entrepreneurs avec son projet populiste. Et pas n’importe lesquels. (...)
deux ans après la fin du mandat de Trump, Elon Musk appelait de ses vœux en 2022 l’élection d’un Congrès républicain à mi-mandat.
Depuis, il épouse chaque jour un peu plus les thèses de l’extrême droite américaine. (...)
Musk n’est pas un cas isolé. Il n’est d’ailleurs pas le premier gourou de la tech à chuchoter à l’oreille de Trump. (...)
Paradoxalement, la Silicon Valley est pétrie d’« idéaux culturels progressistes » et d’« idéaux politiques libertaires proches de la droite », explique Matt Carlson, qui enseigne à l’université du Minnesota. On y encourage les politiques d’inclusion migratoire des démocrates, tout en applaudissant aux projets de libéralisation économique proposés par les républicains. Si elle n’épouse pas strictement le programme du parti trumpiste, la tech américaine s’inscrit donc dans une défiance de l’establishment et aspire à une réduction de l’influence de l’État. Certaines innovations servent même à s’en émanciper. (...)
Aussi, la toile horizontale d’un village mondial qu’ont toujours revendiqué tisser les Gafam « pourrait tout autant muer en un système interconnecté autoritaire », met en garde Fred Turner, le professeur de communication. Il suffirait que ces mêmes dirigeants marivaudent avec des autocrates. Elon Musk le fait déjà, même si sa boussole pointe toujours vers l’opportunisme. Avec la montée des nationalismes, il calque son lexique sur celui des populistes en croisade contre le « virus du wokisme ».
Après l’Inde de Modi, la Chine de Xi Jinping ou le Brésil de Bolsonaro, le « Technoking » - son titre officiel à la tête de Tesla - ne cache plus son admiration pour l’Argentine de Javier Milei. (...)
Ce vent nouveau souffle de plus en plus fort en Californie. Dans la Baie, certaines digues lâchent. « Depuis quelques années, les idées nationalistes font leur chemin dans les think tanks, sur Twitter ou dans les médias spécialisés, remarque Nick Pinkston. On commence à entendre un langage patriote qu’il n’y avait pas avant. » Le startuper, lui-même plutôt politisé à gauche, constate une polarisation grandissante parmi ses collègues.
Mythologie des grands hommes
Ce qui se traduit en espèces sonnantes et trébuchantes. David Sacks, un ami de Musk, incarne ce virage assumé (...)
La mythologie des grands hommes reste tenace dans le secteur. « Ce qui compte dans la tech, c’est d’être le bon leader avec la bonne machine : il subsiste une vieille croyance en la supériorité de la technologie sur la démocratie », explique Fred Turner. Elle a même été théorisée par Marc Andreessen, qui a publié l’automne dernier un « manifeste techno-optimiste ». Ce texte très commenté assure que c’est la technologie qui soignera notre monde malade, quitte à faire sauter certains verrous. « Les plus riches et politisés se demandent si le système démocratique n’est pas dépassé », témoigne Nick Pinkston. Pour Fred Turner, la question est déjà tranchée. (...)