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Mediapart
Des peines clémentes requises contre deux généraux « chefs de tout, mais responsables de rien »
#armee #corruption
Article mis en ligne le 25 septembre 2024

Les deux représentants du Parquet national financier (PNF) ne le cachent pas, ils ont longuement réfléchi au quantum des peines qu’ils vont réclamer contre un PDG, deux généraux et plusieurs officiers supérieurs de l’armée de l’air, ce lundi 23 septembre à la 32e chambre correctionnelle de Paris. En ce jour de réquisitoire, le dossier des marchés de location d’avions-cargos pour l’armée française, examiné depuis deux semaines, présente deux aspects indissociables.

Côté pile, une multitude d’atteintes à la probité, la société International Chartering Systems (ICS) ayant bénéficié de coups de pouce, d’interventions et de passe-droits qui, aux yeux du PNF, représentent plusieurs cas de « rupture d’égalité de traitement entre les candidats ». Les délits visés vont du favoritisme à la prise illégale d’intérêts, et même jusqu’à la corruption pour deux protagonistes du dossier.

Mais côté face, le service a été effectué par ICS, dans un contexte très tendu, entre 2011 et 2017, quand la France était engagée dans plusieurs opérations extérieures (Serval, Barkhane et Sangaris), et manquait d’avions gros-porteurs. Le détournement de fonds publics n’a pas été retenu, ni par le contrôle général du ministère de la défense ni par le PNF, et l’agent judiciaire de l’État ne s’est pas constitué partie civile au procès. Le réquisitoire à deux voix des procureurs du PNF se veut donc à la fois technique, pédagogique et assez nuancé. (...)

Le général Carpentier est ainsi accusé d’avoir favorisé ICS pour un gros marché de près de 200 millions d’euros, en prenant en compte « des critères techniques non prévus » dans l’appel d’offres, et en acceptant une « demande de régularisation hors délais » en faveur de cette société. (...)

Tout général qu’il est, il ne peut pas s’asseoir sur le code des marchés publics », tance la procureure. Philippe Carpentier maugrée depuis son banc. (...)

« Comme tous les cols blancs qui défilent ici - et heureusement nous ne jugeons pas souvent des généraux –, il nous explique qu’il est chef de tout, mais responsable de rien », conclut-elle. (...)

Pacte faustien et œil de Moscou

C’est maintenant à Jérôme Simon de prendre la parole. Il évoque les violations du secret professionnel reprochées au colonel Rives. « De nombreux courriels ont retrouvés dans sa boîte mail personnelle : il transmettait à Philippe de Jonquières des informations confidentielles particulièrement sensibles dans les 18 mois qui ont précédé son embauche chez ICS », expose le magistrat. « C’est un avantage considérable pour Philippe de Jonquières sur ses concurrents grâce à cet œil de Moscou », ironise le procureur.

Le colonel Rives est également poursuivi pour prise illégale d’intérêts (le délit de pantouflage), et pour corruption passive. « Il n’a eu de cesse de manifester un intérêt particulier et personnel pour ICS, et est intervenu à plusieurs reprises en faveur de son futur employeur », poursuit Jérôme Simon. (...)

Claire le Maner reprend la parole pour réclamer des peines contre les huit prévenus. « Les faits sont graves quand un colonel de l’armée française se fait corrompre par une société qui ne vit que de l’argent public », commence-t-elle, en rappelant que Rives et Jonquières risquent dix ans de prison.

Elle ne requiert finalement que quatre ans de prison avec sursis et 50 000 euros amende contre l’ancien colonel, qui s’est reconverti comme prof dans un collège.

Contre Philippe de Jonquières, qui se dit aujourd’hui ruiné, la procureure demande quatre ans de prison avec sursis, une interdiction de gérer et une exclusion des marchés publics pendant cinq ans, ainsi que la confiscation définitive des biens et sommes saisis (plus de 4 millions d’euros).

Des peines de 18 mois de prison avec sursis et 15 000 euros d’amende sont demandées contre le général Boussard, et de douze mois de prison avec sursis et 10 000 euros d’amende contre le général Carpentier. Les autres peines réclamées sont encore moins sévères. Le procès doit s’achever mercredi 25 septembre avec les plaidoiries de la défense, et le jugement sera ensuite mis en délibéré.