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Mediapart
Dans le Lot-et-Garonne, la Coordination rurale ne veut « pas d’argent, mais des profits partagés »
#agriculture #FNSEA #coordinationrurale #UE
Article mis en ligne le 29 janvier 2024
dernière modification le 28 janvier 2024

Feu devant la préfecture, autoroute bloquée : le Lot-et-Garonne est un des points chauds de la mobilisation agricole. La Coordination rurale, classée à droite, y occupe le terrain. Rejet de l’agroindustrie, progression du bio et déni climatique : ses positions sont déroutantes

Deux gendarmes gardent tranquillement l’entrée de l’échangeur autoroutier du passage d’Agen, agriculteurs et journalistes vont et viennent à leur guise jeudi 25 janvier, dans la soirée. Depuis quatre jours, à l’initiative de la Coordination rurale du Lot-et-Garonne (CR 47), plusieurs centaines d’agriculteurs, et quelques agricultrices, campent sur le ruban d’asphalte de l’A62, direction Bordeaux, puis Paris.

Vers le sud, l’autoroute serait bloquée en Haute-Garonne, et jusqu’à Carcassonne (Aude). Les plus anciens syndicalistes assurent n’avoir « jamais vu une telle mobilisation », comme Patrick Franken, l’un des responsables du syndicat. (...)

Sur l’A62, l’intendance est parfaite : il y a de grands feux de camp, nourris de palettes, une tente où l’on trouve de quoi manger, beaucoup, et de quoi boire aussi. De nombreux agriculteurs ont apporté leurs propres produits (...) une centaine de tracteurs protègent les lieux. (...)

« Les cultures sont à l’arrêt. Il a tellement plu cet automne qu’on n’a même pas pu semer le blé », explique Daniel, salarié agricole. Il s’inquiète de la possibilité pour le mouvement de durer dans le temps, si les revendications des agriculteurs n’étaient pas entendues : « À un moment, il va falloir revenir dans les champs. »

Pour se faire entendre, il va en effet falloir durer. C’est ce que disent les agriculteurs réunis sur l’A62 ce vendredi soir, à la suite des annonces de Gabriel Attal (...)

« Sur le volet économique, la rentabilité des exploitations, la baisse des charges, la fin de la concurrence déloyale, on va donc continuer », dit Patrick Franken au nom de la CR 47. Il retient cependant de la prise de parole du Premier ministre une « prise de conscience de la démagogie environnementale, portée par les écologistes idéologiques. Que l’Office français de la biodiversité soit mis sous l’autorité des préfets est un signe fort. On va pouvoir créer des réserves d’eau, entretenir les ruisseaux et les cours d’eau, enfin ».

Daniel est tout de même pour « pousser les portes de la préfecture, s’y installer. Mais les chefs ne veulent pas aller si loin » (...)

« On n’était pas sur les ronds-points », assure Yves, qui montre son bonnet « jaune comme de jolis poussins. On n’est pas des assistés, on défend notre métier ».

L’agriculteur cultive, avec son fils Guillaume, des céréales en bio, sur « plus de 100 hectares », sans plus de précisions. Il est là parce qu’il ne supporte plus « la paperasse qui [leur] prend 30 % de [leur] temps, les administrations qui [leur] commandent alors qu’elles devraient être à [leur] service, la PAC qui [les] sanctionne quand [ils] oubli[ent] quelque chose » : « 3 % de pénalités ! Ce sont les seigneurs, nous les paysans. »

Il fustige aussi « les branleurs au RSA, ceux qui trichent avec la Sécurité sociale. Quand [eux] se saign[ent] pour payer les charges patronales de [leurs] salariés ». Il reconnaît n’avoir jamais croisé de tels « branleurs ». « Mais on les voit partout à la télé ! », assure-t-il. (...)

Yves ne regrette en rien l’agriculture conventionnelle, ses « parcelles comme des cartes postales » jaune, dorée, verte ou brune, « sans le moindre brin d’herbe ». (...)

« Faut arrêter avec le changement climatique ! » José Pérez, coprésident de la CR 47 (...)

Lui cultive 55 hectares de pommes, de poires et de kiwis, et ne parvient aujourd’hui à se verser que « 800 euros par mois ». « J’ai des enfants. Sans le salaire de ma compagne, on ne s’en sortirait pas. »

La CR 47 ne veut « pas d’argent, mais des choses concrètes », explique José Pérez : « Aujourd’hui, sur un kilo de pommes, je reçois 35 centimes, l’intermédiaire 80 centimes, et le supermarché vend 3 euros. On veut que les profits soient partagés de manière équitable pour vivre dignement de notre travail. »

Il dénonce la distorsion de la concurrence, y compris au sein de l’Union européenne (...)

« En France, on a des normes environnementales très strictes. Mais des produits qui sont interdits en France – les hormones, des insecticides – sont autorisés en Espagne, en Allemagne, en Pologne. Et on doit se battre sur le même marché. » En réalité, les mêmes normes environnementales s’appliquent sur le territoire européen, mais « le fonctionnaire espagnol les applique sans zèle, tandis que le Français est dans un excès de zèle qui frôle père Ubu, la perversion ! » s’énerve le président de la Chambre d’agriculture du Lot-et-Garonne, Serge Bousquet-Cassagne. (...)

"La France fournissait l’Europe en fraises : aujourd’hui, c’est l’Allemagne et l’Espagne, dans une mer de plastique. On veut que les produits qui ne respectent pas nos normes soient interdits en France." (...)

Un syndicat très à droite, mais allié à la gauche (...)

« Et ce serait nous qui ferions monter le RN ?, s’étrangle un agriculteur. Mais on ne pèse rien politiquement ! » Les agriculteurs et agricultrices représentent en effet moins de 5 % de la population du département.

Plus troublant encore, la Confédération paysanne, classée à gauche, a choisi de travailler localement avec la CR 47. Emmanuel Aze, l’un des adhérents et ancien porte-parole de la « Conf’ 47 », explique avoir « construit, sur le long terme, une démarche syndicale de dialogue visant à arracher la CR 47 au seul terrain identitaire ». (...)

 : « les difficultés économiques », le « rejet des accords de libre-échange, marché unique européen compris », « la précarité sans fin qui en découle, qui [les] contraint sur [leurs] fermes à des choix contraires à [leurs] intérêts individuels et à l’intérêt général », « l’amour du métier et le désir d’une liberté qui [leur] permette de reconstruire l’autonomie alimentaire du pays ».
Le temps des dinosaures

Avec la Confédération paysanne, la CR a une divergence colossale : sur le changement climatique, le syndicat est dans le déni, un aveuglement déconcertant dans ce département qui subit des sécheresses de plus en plus fréquentes, d’étouffantes vagues de chaleur de plus en plus longues. (...)