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Dans la tête des animaux d’élevage
#animaux #elevage
Article mis en ligne le 23 janvier 2024

Que se passe-t-il dans la tête d’une poule, d’un cochon, d’une chèvre, d’une vache ? Après avoir longtemps dénigré les animaux de ferme, les scientifiques commencent à découvrir leur vie sociale. Un univers bien plus complexe qu’attendu.

Jouer sur une tablette. Courir pour le plaisir. Aider les copains en difficulté. Se retenir d’uriner… Il y a encore vingt ans, personne n’aurait imaginé observer ces comportements parmi les animaux de ferme. Vaches, poules, cochons, chèvres, moutons : ces bêtes que nous côtoyons pourtant depuis plusieurs milliers d’années nous intéressaient certes pour leur viande, leur lait, leurs œufs. Mais leur état mental ? Leur vie sociale ? Leurs émotions ?

Ignorer ces espèces a été l’une des grandes « opportunités manquées » par la communauté scientifique, soulignait la revue Science dans son édition du 8 décembre, ornée pour l’occasion d’un inhabituel portrait de vache en couverture. Depuis le début des années 2000, une dizaine de laboratoires dans le monde tentent de rattraper ce retard. Et nous font découvrir les capacités cognitives surprenantes de ces animaux. (...)

les preuves s’accumulent pour faire mentir la mauvaise réputation de la poule comme l’animal le plus bête de la basse-cour. Après avoir entraîné des gallinacés à discriminer les couleurs sur un écran, grâce à un protocole avec récompense, Ludovic Calandreau et son équipe ont découvert qu’ils pouvaient modifier les consignes, les complexifier : les poules s’adaptent rapidement et spontanément à la nouvelle tâche. « Elles généralisent le concept », explique le chercheur. Sur les vidéos, leur rapidité d’exécution à coups de bec sur l’écran, sans la moindre hésitation, est impressionnante. (...)

Une étude publiée en 2023 suggère même que les coqs pourraient se reconnaître dans un miroir, donc avoir une conscience d’eux-mêmes, ce qu’on pensait jusqu’alors réservé à quelques espèces seulement (grands singes, éléphants, dauphins, pies…). Dans cette expérience, les coqs semblent en effet reconnaître leur reflet comme étant le leur, car, en présence d’un miroir, ils ne prennent pas la peine d’alerter comme en cas d’attaque de prédateur. Ils restent silencieux, comme s’ils étaient seuls. (...)

pour parvenir à tester les capacités cognitives de ces espèces, encore faut-il comprendre quelles questions leur poser. Et surtout, comment les leur poser. Autrement dit, il faut déjà être un peu dans la tête de ces animaux pour pouvoir étudier ce qui s’y passe. Voir l’environnement de leur point de vue. (...)

Récemment, une étude s’est inspirée d’un incident rapporté en 2020 par les gardes de la réserve naturelle nationale de Voděradské bučiny, en République tchèque. Plusieurs sangliers sauvages s’étaient rassemblés autour d’une cage contenant deux des leurs et étaient parvenus à les libérer. Une caméra de surveillance avait photographié toute la séquence.

De la même manière, des chercheurs allemands et autrichiens ont enfermé des cochons domestiques et observé que dans 85 % des cas, les animaux libéraient leur compagnon piégé en l’espace de 20 minutes. Lorsque la cage est vide ou lorsque l’animal piégé n’appelle pas, les cochons ouvrent moins fréquemment la porte, ce qui suggère un comportement « d’aide ciblée », écrivent les chercheurs. Un comportement qui nécessite en tout cas une « certaine compréhension des besoins de l’autre, ce qui est un élément essentiel de l’empathie », ont précisé les auteurs à la revue Science. (...)

Dans toutes ces expériences étonnantes, un point commun émerge : on observe de grandes différences interindividuelles. Il y a les cochons sportifs, qui reviennent sans cesse sur le tapis roulant. Et d’autres qui l’ont essayé une fois et n’y remettent plus les pattes. Il y a les « cochons Einstein », qui résolvent toutes les tâches, et ceux qui ratent et se désintéressent de tout. Il y a les chèvres exploratrices et celles qui n’osent pas sortir. On pense souvent au troupeau comme à un tout homogène. Or, ces animaux ont beau avoir été élevés de la même manière, des tempéraments très différents émergent. (...)

La différence avec l’homme, c’est qu’on ne peut pas leur demander d’exprimer leurs émotions, poursuit la chercheuse. Il faut mettre au point des systèmes d’évaluation pour démontrer leur présence. (...)

des scientifiques allemands et néo-zélandais sont parvenus à apprendre aux vaches à uriner au petit coin. Après avoir reçu une récompense pour chaque miction effectuée à l’intérieur de toilettes XXL, les vaches se sont mises à y aller régulièrement. Elles ont donc conscience de l’état de leur vessie et parviennent à maîtriser leur sphincter. (...)

On pourrait penser que seule la récompense pousse ces animaux à accepter tous ces défis insensés que leur proposent les scientifiques. En réalité, « même lorsque le taux de récompense est faible, ils restent motivés. Ils pourraient se contenter de faire n’importe quoi, ou bien ne pas s’intéresser à nos sollicitations. Eh bien non, dans toutes ces études, on observe des animaux qui, dès qu’ils sont en capacité de réussir une tâche, cherchent à y répondre », rapporte Ludovic Calandreau. Son explication ? Le cerveau est fait pour donner du sens au monde qui nous entoure. (...)

Reste à voir si l’industrie agroalimentaire se laissera convaincre et acceptera de transformer ses élevages en des sortes de centres de loisirs munis d’écrans géants, de tapis roulants et… de toilettes.