
Un homme a été confondu par son ADN et mis en examen pour le meurtre d’une femme prostituée il y a 22 ans. Un féminicide prostitutionnel qui peine à être reconnu.
« Incroyable rebondissement dans un cold case vieux de deux décennies. Un homme vient d’être mis en examen des chefs d’assassinat et d’actes de torture et de barbarie pour un meurtre qui remonte à février 2002. »
Mais pour que tout soit parfait, ne faudrait-il pas que les médias qui en rendent compte montrent qu’ils ont mis à profit ces 22 années pour présenter une analyse des faits qui aille au-delà du simple « fait divers » ? Car entretemps, est apparue une notion qui a changé les regards en profondeur, celle du « féminicide » : une grille nouvelle de lecture qui rend compte (enfin !) du caractère systémique de la haine des femmes, de la profonde misogynie qui sert de moteur à des agressions et à des meurtres.
Là où la justice comme les médias n’ont aucun mal à identifier un crime comme raciste ou antisémite, leur lucidité s’arrêterait-elle leur lucidité s’arrêterait-elle à la porte du machisme prostitutionnel ? Le meurtre de cette femme prostituée, ramené aux facilités d’un « meurtre barbare » ou d’une « sordide affaire », n’a droit qu’à des exclamations sur « la sauvagerie de l’acte ».
Les faits sont pourtant criants de clarté. L’auteur s’est en effet tellement acharné sur sa victime qu’il a continué à lui donner des coups de couteau jusqu’après sa mort. Et ces coups de couteau, il ne les a pas distribués n’importe comment. Il s’est attaqué au pubis. La haine des femmes, la haine du sexe des femmes pourrait-elle être plus lisible ? Car si tuer une femme ne constitue pas un féminicide, tuer une personne parce qu’il s’agit d’une femme l’est ; et la tuer en marquant une volonté de l’anéantir en tant que personne et pour ce qu’elle représente.
« Client ou pas client » ?
Nulle part, dans aucun article dont nous avons pu avoir connaissance, n’apparaît seulement la question de savoir si l’homme était « client ». Aujourd’hui âgé de 46 ans, il est décrit comme un « cabossé de la vie », consommateur régulier d’alcool et de cannabis, connu de la justice pour des violences… et quitté par sa femme. (...)
les interlocutrices de nos associations, bien placées pour savoir ce qui se joue dans le huis clos prostitutionnel, résument par cette formule : « Le type a payé, il pense qu’il a tous les droits. »
L’invisibilisation des féminicides prostitutionnels a assez duré. Les progrès de la société dans l’identification des féminicides s’arrêtent trop souvent aux quatre murs de la chambre conjugale. D’autres chambres, d’autres lieux sont pourtant encore plus dangereux.
Jusqu’à quand les personnes prostituées devront-elles rester des cas à part ? Des victimes de seconde zone ? Comment peut-on encore croire que l’incroyable prix payé par elles en meurtres et en agressions n’est du qu’à la lubie hasardeuse d’une poignée de « détraqués » ?