
La chercheuse Aline Tribollet nous décrit la vie symbiotique chamboulée des coraux, frappés par un épisode majeur de blanchissement. Elle estime que la technologie, des parasols géants par exemple, ne pourra pas les sauver.
Le 15 avril, l’agence américaine d’observation océanique et atmosphérique (NOAA) a signalé qu’un nouvel épisode massif de blanchissement des coraux était en cours. À ce jour, 30 à 50 % de ces récifs ont déjà péri du fait des précédentes vagues de chaleur et des pressions humaines.
(...) Les taux de mortalité corallienne sur la Grande Barrière australienne l’ont érigé en triste emblème. Certains récifs y ont perdu jusqu’à 100 % de leurs coraux. Toutefois, ces phénomènes de décoloration sont aussi observés en Floride, dans les Caraïbes, au Brésil, dans le Pacifique Sud et dans le Pacifique tropical oriental, ou encore ici, dans l’océan Indien et notamment à Mayotte. (...)
Si le stress thermique est bref et de faible intensité, le corail peut à nouveau entrer en symbiose avec des zooxanthelles et se rétablir. En revanche, si les épisodes sont longs, forts et répétés, le corail n’a pas le temps de récupérer. Alors, il meurt.
Pour les préserver, il faut donc limiter au maximum la hausse des températures.
Exactement. Lutter contre le changement climatique en réduisant drastiquement nos émissions de gaz à effet de serre est primordial. En revanche, on peut aussi agir dans l’immédiat en supprimant toutes les autres sources de stress, liées aux activités anthropiques locales, que subissent les coraux au quotidien. (...)
La disparition de ces coraux aurait-elle des répercussions à grande échelle ?
Oui. Les écosystèmes récifaux abritent 25 % de la biodiversité marine – poissons, mollusques, crustacés, algues, etc. Et ce, alors qu’ils ne constituent que des confettis : même pas 0,1 % de la surface des océans.
Par ailleurs, ces récifs permettent à environ 1 habitant sur 15 dans le monde de survivre par la pêche, le tourisme ou l’économie que ça génère. Et ce n’est pas tout : en formant des barrières naturelles, ces coraux protègent aussi le trait de côte de l’assaut des vagues, des tempêtes ou encore des tsunamis. Moins il y en aura, plus l’érosion côtière et les risques de submersion augmenteront. (...)
Aujourd’hui, près de la moitié de la surface des récifs coralliens a disparu. En 2019, le rapport du Giec [Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat] sur la cryosphère et l’océan estimait qu’avec +1,5 °C sur Terre par rapport à l’ère pré-industrielle, on perdrait 70 à 90 % des récifs coralliens. Malheureusement, les scénarios actuels tendent plutôt vers un réchauffement à plus de 3,8 °C. Inutile de mettre à jour les calculs sur les coraux pour saisir l’ampleur du danger. Nous sommes très pessimistes. (...)
L’agence américaine se félicite toutefois des techniques développées contre le blanchissement. Elle évoque notamment le déplacement de pépinières de coraux vers des eaux plus profondes et plus fraîches, ou encore l’installation d’ombrages pour protéger les récifs des rayons du soleil. Est-ce souhaitable ?
(...) je crains que la tâche soit extrêmement compliquée. J’ai du mal à imaginer que l’on parvienne à développer des parasols au-dessus de chaque récif pour les protéger des UV et du réchauffement. Quant à les déplacer vers des eaux plus profondes, les études récentes ont montré que les coraux des profondeurs ne sont pas les mêmes que ceux vivant en surface. Il y a fort à penser que ce ne sera pas une solution miracle.
Soyons raisonnables. Limitons déjà au maximum les impacts anthropiques locaux aux abords des récifs coralliens et abaissons nos émissions de CO2. Essayons d’appliquer l’Accord de Paris et les décisions prises à la COP28 (...)