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Mediapart
Collégienne agressée à Montpellier : réseaux sociaux, rumeurs et montages à l’issue tragique
#college #lynchage #reseauxsociaux #instrumentalisation #medias #extremedroite
Article mis en ligne le 6 avril 2024

Samara a subi un lynchage mardi 2 avril non loin de son collège à Montpellier. Alors que sa mère dénonce les pressions religieuses et le harcèlement, les élèves pointent surtout l’engrenage sur les réseaux sociaux, ce qu’a confirmé vendredi le parquet.

(...) Depuis trois jours, si CNews et l’extrême droite en ont fait leurs choux gras, un flou persiste quant au mobile des agresseurs de Samara. Seule certitude : les réseaux sociaux utilisés de manière anarchique et tout entiers voués à l’humiliation publique ont joué un rôle déterminant.

C’est d’ailleurs par ce biais que le rendez-vous fatal a été fixé mardi 2 avril. (...) . « En passant devant nous, dans la cour, un garçon nous avait prévenues. Il a dit : “À 16 heures, on va arracher la tête à Samara.” Il a dit qu’elle l’avait pris en photo, et qu’elle avait “affiché” des gens », raconte une élève. (...)

Devant une vingtaine de collégiens et de collégiennes qui ont assisté à la scène, Samara est alors rouée de coups jusqu’à perdre conscience. Placée en coma artificiel au CHU de Montpellier, la jeune fille souffre d’une hémorragie cérébrale. Elle se réveillera le lendemain, traumatisée malgré une amnésie partielle.

Rapidement, sur BFM et Europe 1, la mère de la victime évoque un harcèlement ancien, et la possibilité d’une pression religieuse. (...)

Aussitôt, l’affaire prend une dimension nationale et s’embourbe dans un emballement politique aussi rapide que peu fondé. (...)

Selon une source proche du dossier contactée par Mediapart, les enquêteurs n’ont en réalité aucun élément qui pourrait aller dans le sens d’une « pression religieuse ». (...)

Invitée sur le plateau de Cyril Hanouna jeudi soir, Hassiba Radjoul a tenté d’éteindre l’incendie en dénonçant à son tour « l’instrumentalisation de l’extrême droite ». « J’incrimine la fille qui a harcelé ma fille, pas une communauté, il faut bien le préciser », a-t-elle insisté. Un interlude qui n’a pas empêché les chroniqueurs en plateau de dérouler un résumé de l’histoire unilatéral jalonné de raccourcis (...)

Depuis plusieurs mois, l’animosité entre Samara et F., la collégienne impliquée dans le guet-apens, s’était notamment cristallisée sur les réseaux sociaux, que l’ensemble des collégien·nes utilisent sans retenue. « Le problème, ici, c’est que tout le monde a des photos de tout le monde », remarque Karim. En parallèle, plusieurs faux comptes ouverts sur TikTok, Snapchat et Instagram ont mis le feu aux poudres, affectant considérablement les relations entre élèves. (...) Leur but : « afficher » les élèves, publier des photos où ils ne sont pas à leur avantage, et faire circuler des photomontages dégradants. (...)

Plusieurs filles et garçons en ont aussi fait les frais, et l’un de ces comptes malveillants a fini par être attribué… à Samara. Un engrenage sexiste, nauséabond et pétri de rumeurs en somme, qui a conduit à ce lynchage aux conséquences dramatiques. « Cette année, il y a eu au moins cinq guets-apens contre elle », dénombre une collégienne. (...)

A la vie scolaire un tombereau d’insultes (...)

« On a dit qu’on avait jeté cette collégienne dans la fosse aux lions. On a dit que l’agression s’était déroulée devant l’établissement et que personne n’était intervenu. On a dit qu’elle était harcelée et que personne n’avait rien fait. Tout cela est faux. Concernant le harcèlement, il y a eu un signalement et un suivi. Tout a été noté. Lors de son dernier rendez-vous, elle a dit que c’était de l’histoire ancienne », rectifie l’enseignant.

Devant les élèves cette semaine, certains profs n’ont pas réussi à retenir leurs larmes. Le vendredi matin, alors que la ministre de l’éducation, Nicole Belloubet, a envoyé l’inspection générale dans le collège pour faire toute la lumière sur les événements, une partie d’entre eux a préféré partir. « Ils ne se sentaient pas en capacité de faire cours », explique Jordan Homps, représentant du personnel au conseil d’administration du collège et représentant du syndicat Snes pour l’Hérault.

Le militant syndical pointe aussi le manque évident de moyens, qui auraient pu permettre d’identifier certains faits. « Nous avons deux conseillers principaux d’éducation pour 850 élèves. On attend un surveillant spécialisé dans la prévention des risques et des violences, depuis plusieurs années. On a une assistante sociale une demi-journée par semaine, et une infirmière partagée avec un autre établissement. Elles accueillent en non-stop, ce qui signifie qu’on n’est pas à la hauteur des besoins », constate-t-il.

Dans un communiqué publié vendredi midi, le parquet de Montpellier a fini par confirmer la problématique des réseaux et d’un groupe d’ados « qui avaient pour habitude de s’invectiver et de mettre en ligne des photographies sur des groupes de discussion ». Les trois mis en cause – dont un garçon extérieur au collège qui a été placé en détention provisoire – ont été présentés au parquet ce même jour « en vue de l’ouverture d’une information judiciaire » pour « tentative d’homicide volontaire sur mineure de moins de 15 ans ».

Par mesure conservatoire, la rectrice de l’académie de Montpellier, Sophie Béjean, a décidé de leur interdire l’accès à leurs établissements respectifs et d’engager des procédures disciplinaires à leur encontre.

À ce stade, ni le harcèlement ni la pression religieuse n’ont été relevés par le procureur.