Consciencieusement, les énormes bulldozers militaires blindés D9 labourent la rue, détruisant l’asphalte, les égouts, les réseaux d’eau et d’électricité. Ces scènes, filmées dans les camps de réfugié·es de Tulkarem, Jénine et Far’a, dans le nord de la Cisjordanie, ont un air de déjà-vu. Les raids de l’armée israélienne se sont en effet multipliés dans cette région depuis le 7 octobre 2023, après les massacres commis par le Hamas et d’autres factions palestiniennes dans les bourgades israéliennes proches de la bande de Gaza.
À chaque fois, les soldats détruisent tout ou partie des infrastructures civiles.
Cette offensive, cependant, marque un nouveau cran : de l’avis des observateurs, israéliens comme palestiniens, c’est la plus importante depuis 2002 et l’écrasement du camp de Jénine, littéralement rasé pendant l’opération militaire déclenchée après un attentat palestinien qui, fin mars 2002, avait tué 30 personnes lors d’un repas de fête de la Pâques juive à Netanya.
(...) Jeudi en milieu de journée, les deux hôpitaux principaux de Jénine étaient encore assiégés par les soldats israéliens, qui contrôlaient les allées venues, selon un témoin contacté par Mediapart.
D’après la chaîne de télévision israélienne 12, citée dans un article du magazine en ligne Middle East Eyes, quatre bataillons sont déployés, chacun comptant entre 700 et 1 000 hommes, dans une opération de « contre-terrorisme » après l’attentat suicide du 19 août à Tel-Aviv.
L’attaque, revendiquée par le Hamas et le Jihad islamique, n’avait tué que le porteur des explosifs, déclenchés involontairement semble-t-il. Mais elle a été suivie d’une menace émise par les factions islamistes de faire revivre à l’État hébreu les jours de la seconde Intifada, marqués par les attentats suicide, notamment dans les transports.
Une série de sinistres montages, diffusée sur les réseaux sociaux par les Brigades Ezzedine al-Qassam, la branche militaire du Hamas, annonçait la reprise de ce mode opératoire que les factions palestiniennes n’ont pas utilisé depuis 2016. « Nous arrivons », proclamaient les affiches, sur fond de bus éventrés et de ceintures d’explosifs.
La crainte de l’extension de la guerre contre Gaza
« Les Israéliens affirment que cette opération relève de la prévention et de la dissuasion, assure Ibrahim S.Rabaia, chercheur en science politique et originaire de Jénine. Mais pour les Palestiniens, elle s’inscrit dans le processus d’occupation. Les Israéliens veulent détruire les camps, ou les vider, et se débarrasser ainsi de la question des réfugiés. Il s’agit aussi de rendre la vie tellement difficile dans les camps, sans aucune stabilité ni sécurité ni infrastructure, que les gens les quittent. D’autant que l’UNRWA, confrontée à de violentes attaques de la part des dirigeants israéliens, ne peut plus remplir son rôle de soutien et d’assistance aux réfugiés comme elle le faisait avant. »
Le chercheur souligne également que les camps de réfugié·es du nord de la Cisjordanie sont les derniers endroits sûrs pour les militants palestiniens armés. (...)
Après avoir multiplié les prières dans l’enceinte du lieu saint musulman, à l’encontre du statu quo qui prévaut, Itamar Ben-Gvir, suprémaciste juif et ministre de la sécurité nationale du gouvernement Nétanyahou, a annoncé sur la radio de l’armée son projet de construire une synagogue sur l’esplanade des Mosquées.
De quoi, pensent les autorités israéliennes, embraser la Cisjordanie. (...)
L’ampleur de la force engagée par l’armée israélienne dans le nord de la Cisjordanie interroge, et inquiète. Les traditionnelles organisations de défense des droits humains s’émeuvent, comme Amnesty International, ou Al-Haq, qui nous déclare être « extrêmement préoccupée car les tactiques des forces d’occupation israéliennes reflètent celles utilisées dans la campagne génocidaire d’Israël à Gaza, en particulier les attaques contre les hôpitaux et les installations de soins de santé, et l’utilisation d’une force excessive et indiscriminée. »
Des dirigeants politiques aussi, comme le chef de la diplomatie européenne, Josep Borrell, qui s’alarme : « L’incursion militaire majeure en Cisjordanie ne doit pas être la prémisse d’une extension de la guerre à partir de Gaza. Le parallèle établi par le ministre Katz, notamment en ce qui concerne l’évacuation des résidents palestiniens, risque d’aggraver l’instabilité. » (...)
« Israël a près de onze mois de guerre à Gaza derrière lui. Les autorités israéliennes ne craignent plus de réaction de la part des factions à Gaza en cas d’attaque massive contre la Cisjordanie, constate Ibrahim S.Rabaia. Quant au monde, il s’est habitué aux morts et aux déplacements forcés. » (...)