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“Bénéfique” mais aussi “violent” : école et handicap, les limites de l’inclusivité à tout prix
#educationNationale #handicap #inclusivite
Article mis en ligne le 27 février 2025
dernière modification le 21 février 2025

En 2005, l’admission des enfants en situation de handicap dans les classes ordinaires entrait pleinement dans la loi. Vingt ans plus tard, faute de moyens, les enseignants se retrouvent trop souvent démunis, et les élèves mal accompagnés (...)

Deux décennies plus tard, « sur le plan quantitatif, la réussite est indéniable », assure un rapport de la Cour des comptes publié en septembre dernier. Il est vrai que les effectifs ont plus que triplé : aujourd’hui, environ 500 000 enfants et adolescents porteurs de handicap sont accueillis en milieu ordinaire. Sur le plan « qualitatif », c’est une autre histoire. « La politique nationale d’inclusion scolaire ne permet pas de couvrir l’ensemble des besoins des élèves en situation de handicap de manière efficace et équitable », conclut le rapport (mais est-ce seulement possible ?). Cela, nul ou presque ne l’ignore. (...)

Comme le souligne la Cour des comptes, aucune évaluation d’envergure n’a été entreprise pour déterminer le bénéfice apporté par l’école ordinaire à ces enfants. Ni même pour « distinguer les parcours ou les dispositifs les plus efficaces et efficients ». Si bien « qu’il n’est guère possible de se prononcer sur les performances du modèle français d’inclusion scolaire […] et encore moins de le comparer avec ceux d’autres pays ».

Reste le baromètre enseignant. Voici longtemps déjà que, tout en prenant soin de défendre l’idéal d’inclusion, des professeurs confient être désarmés face au comportement d’un élève imprévisible, bruyant, qui perturbe la classe. A-t-on vraiment pris la mesure de la détresse qui a gagné la profession ?

 ? En 2023, réalisant une vaste étude sur le « climat scolaire » dans les écoles primaires, les chercheurs Benjamin Moignard et Éric Debarbieux tombaient de leur chaise. Dans l’inventaire des préoccupations des répondants, ce ne sont plus les sentiments de déclassement social et de mépris hiérarchique qui tiennent le haut du pavé. Mais « la manière dont se fait l’école inclusive. Ce problème écrase tous les autres ». (...)

En 2011, 40 % des répondants disaient avoir connu des difficultés fréquentes ou très fréquentes avec des enfants “gravement perturbés” ou “présentant des troubles du comportement”. En 2023, ils étaient 74,5 % », affirment Moignard et Debarbieux. « Il va de soi que les troubles décrits n’ont pas valeur de diagnostic. Mais ils témoignent du sentiment d’impuissance de professionnels qui estiment que l’inclusion scolaire se fait à l’économie, avec trop peu d’aide spécialisée réelle. » (...)

La France a pris le parti de recourir massivement aux AESH, qui sont plus de 132 000 en 2025 et constituent désormais le deuxième corps de métier de l’Éducation nationale. Cheville ouvrière de l’école inclusive, ils se mobilisent régulièrement pour dénoncer contrats précaires, bas salaires, horaires fragmentés… Ils sont soutenus dans leurs revendications par l’ensemble des syndicats enseignants, avec une ardeur à la hauteur des enjeux : le monde scolaire ne saurait se passer de cette armée de l’ombre chargée de favoriser l’autonomie des enfants en situation de handicap.

Pour autant, faute de formation spécifique, les AESH se révèlent bien souvent tout aussi désarmés que les professeurs lorsque l’élève qu’ils accompagnent bascule dans un état de crise, s’automutile, se replie sur lui-même. Et ce n’est pas leur faire injure que d’interroger la démarche consistant, comme dit Éric Debarbieux, « à confier à des personnes en situation fragile les élèves les plus fragiles ».

Bien entendu, des dispositifs ont été mis en place pour faire intervenir des professionnels du secteur médico-social, à travers par exemple les unités localisées pour l’inclusion scolaire (Ulis) : ils permettent aux élèves d’être inscrits dans une classe ordinaire correspondant à leur âge tout en bénéficiant d’un accompagnement spécifique. (...)

combien d’enfants, en France, se trouvent en souffrance dans des classes ordinaires ? « J’en ai eu jusqu’à trois dans ma classe avec un seul AESH, confie Léa [le prénom a été changé, ndlr], enseignante en maternelle depuis vingt ans. L’un était diagnostiqué, pas les deux autres, comme souvent à cet âge-là. J’ai bien tenté d’alerter les familles, elles étaient dans le déni. Voir ce bout de chou se frapper la tête et se cacher dans un placard me rendait malade… » Léa appelle à l’aide l’inspection, qui lui envoie… une conseillère pédagogique. « C’était hors sujet : je sais gérer ma classe ! En attendant, ces enfants sont en situation de maltraitance. » (...)

Nombre de familles se tournent donc vers des structures spécialisées hors les murs de l’école (...)

Hélas, toutes les familles n’obtiennent pas pareilles alternatives. Comme le souligne la Cour des comptes, beaucoup d’orientations préconisées par les maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) vers des établissements médico-sociaux « n’aboutissent pas, faute de places ». Des situations qui « conduisent l’Éducation nationale, en raison de l’obligation de scolarisation qui lui incombe, à accueillir des élèves présentant des troubles face auxquels les intervenants éducatifs se sentent démunis ».

Un tabou est sur le point de sauter. Longtemps maintenue sous cloche par crainte qu’elle soit incomprise, l’exaspération des professeurs s’exprime désormais ouvertement, voire s’affiche sur des banderoles lors de manifestations. L’émotion des acteurs de l’école inclusive comme des familles est à la hauteur des drames qui se jouent dans les salles de classe (...)