
L’artiste clown Thomas Carabistouille marche avec ses ânes et son chapiteau miniature pour recréer du lien au gré de ses rencontres. Un cirque original, pour une « résistance poétique ».
À vélo, à pied, en péniche… Les tournées écolos d’artistes [3/4] Terminé les festivals énergivores, les concerts à l’autre bout du monde : ces artistes ont décidé de faire de l’art bas carbone. Tour d’horizon des initiatives qui méritent d’essaimer !
(...) L’artiste de 54 ans, grimé en clown, nous attend au bord de la rivière, à l’ombre des frênes. Son look détonne, voire intimide. Il y a le traditionnel nez rouge et le visage recouvert d’argile blanche, bien sûr, mais aussi un bonnet jaune à sequins — qui scintille comme une boule disco sous le soleil —, un débardeur gris élimé qui semble avoir vécu 1 000 vies, une jupe en dentelle noire et un long manteau en fausse fourrure qu’une amie lui a dégoté.
Voilà déjà huit jours que Thomas a quitté Angers (Maine-et-Loire) dans cette tenue. Il randonne depuis avec ses deux ânes (baptisés Chiffon et Douloustagan) et son chien (Bayrla), sur les bords de la Mayenne, pour raconter aux gens « l’histoire de Mamouche », son personnage de clown à l’accent russe. Son but : « Faire du cirque d’une autre manière. » S’obliger à prendre le temps. (...)
Tout au long de l’après-midi, il croisera des couples, des familles, même un enfant à bicyclette qui le suivra pendant plusieurs kilomètres… « On a le temps de se dire bonjour, de partager quelque chose, se réjouit-il. Si je faisais le même parcours en voiture, il ne se passerait pas la même chose. » (...)
Résistance poétique
Thomas/Mamouche avance tranquillement, ses ânes à sa droite, son chien tout devant. Sur le dos des équidés sont accrochés des sacoches, des tentures de toutes les couleurs, un miroir de poche, une girafe en plastique… De quoi attirer l’œil.
Deux femmes à vélo s’arrêtent un instant : « Oh ! Vous venez d’où comme ça ? » Mamouche les emberlificote, leur répond dans son accent qu’il vient du bout du monde, d’un peu de partout, mentionne aussi la Pologne. Les deux amies s’amusent, n’arrivent pas à déceler s’il est sérieux ou non. « Vous marchez vraiment depuis la Pologne ? Mais non, c’est pas possible, vous rigolez ! »
Constatant qu’elles ne réussiront pas à lui tirer de véritables informations, elles reprennent la route au bout de quelques minutes en se marrant. « Être en clown sur le chemin autorise les gens à être leur propre clown, nous dit ensuite Thomas dans sa vraie voix. Qu’est-ce que c’est beau de voir un adulte qui parle comme un enfant à un clown ! La personne se laisse porter. Mon but ce n’est pas de faire rire, mais de faire ressentir l’instant. Tu emmènes les gens dans une autre dimension. C’est amener de la poésie, de l’illusion, de l’émotion. » (...)
Il parle même de « résistance poétique ». Particulièrement dans une époque et une région — les Pays de la Loire — où les financements de la culture sont menacés. (...)
« Quand tu coupes les financements de la culture, tu coupes les possibilités de liens entre les gens, affirme Thomas. Ils veulent rétrécir nos champs de vision pour créer du conflit entre les individus. Moi, je marche pour justement recréer du lien avec les gens. » (...)
L’artiste clown confesse s’arrêter systématiquement dans les cafés et supérettes des villages qu’il traverse, même s’il n’a rien à acheter. « C’est mon petit acte militant, dit-il en riant. C’est important de faire le plein de lieux de résistance poétique, dans ce monde de fous. »
Le pouvoir attractif des ânes
Thomas choisit ensuite un coin d’herbes hautes au bord de la Mayenne pour installer son campement. Il décroche les sacoches des ânes et leur délimite un enclos pour la nuit. Cela fait dix ans que Chiffon et Douloustagan partagent son existence. Loin d’être un moyen de transporter son matériel, « ils sont des compagnons de route et de vie », raconte Thomas.
« Il y a deux ans, Chiffon m’a prévenu que j’avais un cancer. On devait partir pour une tournée de spectacles et il boitait, il ne voulait pas qu’on parte. Je me suis dit : “Il essaie de me dire un truc”. J’avais une sensation dans le cou, j’ai consulté et c’était un cancer de la peau. » (...)
« Il y a des fois où je me lève le matin, je lis les titres d’un journal et je me demande ce que je fais avec mon nez rouge sur mon bout de chemin. Mais il faut de l’espoir. Il y a encore des gens qui essaient de regarder le monde avec des yeux qui pétillent. »