
Au cœur du Cerrado, dévasté par la déforestation, subsiste une enclave hautement préservée. C’est le quilombo Kalunga, qui perpétue le mode de vie de ses ancêtres, des esclaves évadés, et résiste à l’avancée de l’agrobusiness.
Dans les vallées montagneuses de la région de la Chapada dos Veadeiros, à 350 km au nord de Brasilia, João da Cunha dos Santos et son épouse, Santa Dias dos Santos, cheminent au milieu de leurs plantations. « Nous plantons du manioc, du riz, du sésame, des courges, du gombo, des haricots… » énumère João qui vit depuis toujours dans la communauté Vão de Almas, au cœur des terres kalungas. C’est le plus grand des quilombo — « terre sacrée » en langue bantoue, le nom de ces communautés formées par des esclaves africains en fuite dans des régions isolées — du Brésil.
« Je fais tout à la force des bras et de la houe », ajoute ce quilombola de 54 ans. Pas un petit tracteur et encore moins de pesticides à l’horizon. L’irrigation ? La pluie s’en charge, même si elle se fait attendre en cette fin de mois de septembre. (...)
Les Kalungas, répartis dans 39 communautés qui comptent aujourd’hui quelque 8 400 habitants éparpillés sur 262 000 hectares, perpétuent le mode de vie de leurs ancêtres. Fuyant l’esclavage dans les mines d’or de la région vers le milieu du XVIIIᵉ siècle, ces derniers avaient trouvé refuge dans ces vallées difficiles d’accès, et y ont vécu cachés et isolés pendant plus de deux siècles. Ils ont développé des connaissances sur la faune et la flore locales mais aussi des pratiques durables, dont la rotation des cultures et l’agriculture itinérante sur brûlis, assurant leur autonomie.
« Nous n’occupons pas plus que la parcelle de terre dont nous avons besoin » (...)
Leur mode de vie a permis aux Kalungas de conserver intacte 83 % de la végétation indigène du territoire, contre 30 % à l’échelle de l’État du Goiás, et 48 % pour l’ensemble du Cerrado, selon les données 2023 de la plateforme MapBiomas. Des chiffres qui font des Kalungas de véritables gardiens du Cerrado. En 2021, le territoire a été le 1ᵉʳ reconnu par l’ONU au Brésil comme zone protégée par les communautés indigènes et locales (ICCA). (...)
Cette philosophie contraste avec l’agriculture intensive et l’usage massif de pesticides prédominant dans le reste de la région, couverte d’exploitations. (...)
12 000 espèces végétales répertoriées (...)
Traditionnel et durable, le mode de vie kalunga reste difficile. La nouvelle génération souhaite préserver le quilombo tout en le développant et améliorant l’accès à l’éducation et aux soins, alors que certaines communautés viennent seulement d’avoir l’électricité et restent isolées. (...)
Bien développé dans la communauté Engenho II, entourée de cascades, le tourisme y est régi par certaines règles dont l’obligation d’engager un guide kalunga, la limitation des baigneurs et l’interdiction des voitures près des cascades. (...)
Autre défi, les Kalungas subissent diverses pressions, notamment des invasions de fermiers, ou de grileiros — des personnes falsifiant des titres de propriété. En 2021, le ministère public fédéral a identifié 50 zones d’invasion. Déforestation, orpaillage, intérêts miniers : les menaces sont nombreuses. Mais pour Carlos Pereira, la lutte-mère reste la régularisation foncière du quilombo, inachevée [1] malgré sa reconnaissance officielle en 1991 comme site historique et patrimoine culturel, en raison selon lui d’un manque de volonté des autorités. (...)
En 2020, près de 1 000 hectares ont été déboisés illégalement à des fins agricoles. Des invasions illégales de troupeaux de buffles, détruisant les plantations des Kalungas et la végétation, sont également dénoncées.
Nickel, amiante, or, et la convoitise des entreprises (...)
Les Kalungas ont aussi résisté à un projet de construction d’une petite centrale hydroélectrique d’une société privée sur le Rio das Almas, qui a été finalement interdit en 2021. « Le barrage aurait inondé une grande partie du Cerrado » et menacé les familles alentour en cas de rupture, affirme Carlos.
Pour protéger leurs terres, les Kalungas cartographient le quilombo, ses ressources et sa population. (...)