
Un "immense soulagement" : après avoir été placée en garde à vue et perquisitionnée, la journaliste Ariane Lavrilleux a échappé vendredi à une mise en examen dans le cadre d’une enquête sur le secret défense, portant sur un possible détournement d’une opération militaire française par l’Égypte pour cibler des opposants.
(...) "J’ai été placée sous le statut de témoin assisté en raison de l’intérêt public de l’enquête publiée par Disclose et Complément d’enquête (France 2) et de l’absence d’indices graves ou concordants contre moi", a annoncé la journaliste à l’Agence France Presse (AFP) à l’issue de trois heures d’interrogatoire.
Si elle conserve ce statut jusqu’à la fin de la procédure, elle échappera à un procès éventuel. L’information n’a pas été confirmée dans l’immédiat de source judiciaire. (...)
"C’est un immense soulagement parce que ça fait plusieurs mois qu’on se bat avec Christophe Bigot (son avocat, ndlr) et Disclose pour expliquer l’intérêt public de ces révélations qui n’auraient jamais dû être classées secret défense", a ajouté cette journaliste, ancienne correspondante en Égypte.
Et d’ajouter : "La justice a montré qu’elle était indépendante, qu’elle n’était pas le bras armé du ministère de la Défense", qui avait porté plainte dans ce dossier. L’enquête se concentre sur plusieurs articles publiés par Disclose depuis 2019, relatifs aux ventes d’armes françaises à l’étranger, mais aussi sur l’opération "Sirli", une mission de renseignement française en Égypte que ce pays aurait détournée pour cibler et tuer des opposants.
L’Égypte est un des principaux destinataires d’équipements militaires français. Une instruction a été ouverte en juillet 2022. La journaliste avait été placée en garde à vue et perquisitionnée en septembre 2023.
Dans la foulée, un ancien militaire avait été mis en examen et placé sous contrôle judiciaire pour détournement et divulgation du secret de la défense nationale par son dépositaire. Le porte-parole du gouvernement de l’époque, Olivier Véran, avait refusé de répondre à plusieurs questions sur cette affaire. (...)
Une "procédure totalement hallucinante"
Avant son interrogatoire vendredi, devant ses soutiens rassemblés devant le Tribunal judiciaire de Paris à l’appel d’une centaine d’organisations, Ariane Lavrilleux a évoqué une "procédure totalement hallucinante" qui a "déployé les moyens de la lutte antiterroriste pour la géolocalisation de (s)on téléphone, (la) suivre dans le tramway, dans (s)es déplacements professionnels ou privés, éplucher (s)es comptes bancaires." (...)
Le cadre légal en vigueur avec cette loi est "insuffisamment protecteur" et "est désormais abusé ou contourné", avaient plaidé dans une lettre au gouvernement lundi une centaine d’organisations, dont l’ONG Reporters sans frontières (RSF), les syndicats SNJ et CFDT, l’association du Prix Albert Londres et plusieurs médias dont StreetPress et Médiacités. (...)
Thibaut Bruttin, directeur général de l’organisation, a évoqué devant le tribunal vendredi matin un "consensus pour une réforme ambitieuse" avec un "renforcement du rôle du juge", "la nullité des procédures" et "une sanction pour le recours abusif à la notion d’impératif prépondérant et d’atteinte au secret des sources".
La journaliste et Thibaut Bruttin ont salué l’engagement jeudi de la ministre de la Culture, Rachida Dati, rapporté par le quotidien régional La Marseillaise, de renforcer la protection des sources. Dans sa déclaration de politique générale mardi, François Bayrou a dit lui sa volonté de "traduire" dans les faits les conclusions des États généraux de l’information, parmi lesquelles figure la protection renforcée des sources des journalistes.
Sur LinkedIn, Ariane Lavrilleux soulignait d’ailleurs lundi que "cette histoire n’est pas extraordinaire" car "27 journalistes ont été intimidé.es par la DGSI avant (elle) depuis 2010". Au moins deux d’entre eux ont subi ces dernières années des mesures coercitives : le journaliste Alex Jordanov, auteur d’un livre sur le renseignement intérieur, a été placé en garde à vue et poursuivi en juin 2022 pour divulgation du secret défense.
Début décembre, un autre journaliste, Philippe Miller (pseudonyme), a été interpellé et son matériel saisi dans un dossier de vol de données confidentielles d’un cabinet d’avocat.
Lire aussi :
– Maison des Lanceurs d’Alerte @mlalerte chez mastodon.social
📢 La Maison des Lanceurs d’Alerte et 105 organisations (syndicats, associations, médias, SDJ et collectifs de journalistes) signent une lettre ouverte adressée au Premier ministre ainsi qu’aux ministres de la Culture, de l’Intérieur, de la Justice et des Armées. Cette lettre appelle le gouvernement à garantir la protection des sources journalistiques, actuellement fragilisée par une législation lacunaire, et propose 5 recommandations pour y remédier
– (Maison des lanceurs d’alerte)
Lettre ouverte – Garantir la protection du secret des sources journalistiques
Monsieur le Premier Ministre, Madame la Ministre et Messieurs les Ministres,
Le 17 janvier 2025, la journaliste Ariane Lavrilleux est convoquée au tribunal de Paris. Elle pourrait être mise en examen en raison de sa contribution à des articles sur une opération militaire française secrète en Egypte que ce pays aurait détournée pour cibler et tuer des civils. Cette convocation de la journaliste de Disclose intervient après qu’elle a fait l’objet, à l’initiative de la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), de mesures de filature, de géolocalisation, de surveillance de ses activités professionnelles et privées ainsi que d’une perquisition à son domicile et d’un placement en garde à vue durant 39 heures.
Depuis l’adoption de la loi relative à la protection du secret des sources promulguée le 4 janvier 2010, au moins 27 journalistes ont été convoqué·e·s ou placé·e·s en garde à vue par la DGSI, selon un décompte réalisé par le journal Télérama. L’inflation de ces méthodes porte atteinte à un principe fondamental de la démocratie qui est la protection du secret des sources, considérée par la Cour européenne des droits de l’Homme comme « une pierre angulaire de la liberté de la presse ».
La loi du 4 janvier 2010 n’a pu l’empêcher. Elle n’a pas non plus empêché le recours à des procédures civiles ou commerciales pour identifier des sources de journalistes. Insuffisamment protecteur, le cadre légal actuel est désormais abusé ou contourné.
Dernier exemple, en date du 4 décembre 2024 : suspecté de recel de violation du secret professionnel, le journaliste Philippe Miller a été interpellé par une dizaine de policiers lors d’un rendez-vous avec une source supposée. Son carnet de notes, son téléphone portable et son ordinateur ont été saisis. Sa garde à vue a duré près de 48 heures et son matériel professionnel a été exploité afin d’identifier ses sources.
La profession s’est exprimée, lors des États généraux de l’information (EGI) comme des États généraux de la presse indépendante (EGPI), et elle est unanime. Il faut réformer la loi de 2010 pour mieux garantir ce droit au secret des sources, sans lequel il n’est pas d’information libre et de débat public éclairé.
Madame la Ministre, vous aviez soutenu cette démarche lors d’une rencontre avec Ariane Lavrilleux, avant de réaffirmer devant les sénateurs, le 17 octobre dernier, qu’une réforme était nécessaire, plus encore du fait de nos obligations européennes. Le 8 août 2025, le règlement européen pour la liberté des médias (EMFA) sera pleinement applicable. Il revient au gouvernement de mettre le droit national en conformité avec ses principes, dont celui de la protection du secret des sources.
Cela nécessitera, non pas uniquement de suivre l’EMFA ou les recommandations des EGI, mais d’oser aller plus loin. A minima, il est nécessaire que le projet de loi en préparation fasse évoluer notre droit sur cinq points : (...)