
Le premier ministre a annoncé que l’État allait déposer plainte contre une lycéenne pour « dénonciation calomnieuse » à l’encontre de son proviseur, qui a démissionné depuis. Il l’a accusée, en direct à la télévision, d’être une agente de « l’entrisme islamiste » en France.
(...) Quelques heures après avoir reçu le fonctionnaire à Matignon, Gabriel Attal aurait pu s’en tenir à un message de soutien, voire se contenter de rappeler son attachement au respect des règles et des agent·es du service public. Mais le premier ministre n’aime rien tant que faire des « annonces », « décider » et « agir ». Mercredi soir, il prend son ton martial : « J’ai décidé que l’État allait porter plainte contre cette jeune femme pour dénonciation calomnieuse. »
(...) voir le premier ministre porter plainte, au nom de l’État, contre une lycéenne, relève autant du baroque que du symbolique, tant il paraît invraisemblable que la moindre suite judiciaire soit donnée à une telle annonce. (...)
Devant sa télévision, la jeune femme a entendu le deuxième personnage de l’État la dépeindre en avatar de « l’entrisme islamiste qui se manifeste dans nos établissements scolaires », dans un raisonnement qui l’a associée aux assassinats terroristes des professeurs Samuel Paty et Dominique Bernard. « On voit que la laïcité est sans cesse mise à l’épreuve », a jugé Gabriel Attal, dénonçant le comportement « inacceptable » et « inadmissible » de l’étudiante.
Des accusations extrêmement graves qui supposent peut-être que le premier ministre dispose d’éléments encore inconnus de la presse et du grand public. Rien de ce qui est aujourd’hui avéré ne permet de lier l’étudiante à la mouvance islamiste, voire au terrorisme. Le 28 février, alors qu’elle est sur le point de quitter le lycée Maurice-Ravel, elle enfile un bonnet et s’apprête à mettre son voile, selon plusieurs témoins cités par le Bondy Blog.
C’est à ce moment-là que le proviseur la croise et lui demande de l’enlever. Le parquet de Paris a indiqué qu’elle l’avait « ignoré ». « Il n’y avait aucun problème pour que j’enlève [mon voile], a-t-elle expliqué au Bondy Blog. Quand je l’ai vu, j’avais les mains derrière ma nuque pour enlever mon bonnet mais il est arrivé tellement vite, de manière agressive, que je n’ai même pas eu le temps d’en placer une. »
Elle a déposé une plainte pour « violences », l’accusant de lui avoir porté un coup dans le bras, mais celle-ci a été classée sans suite pour « infraction insuffisamment caractérisée ». Dans les jours qui suivent, la publicité de l’affaire engendre des menaces de mort à l’égard du chef d’établissement, qui démissionne finalement le 22 mars « par sécurité », à trois mois et demi de la fin de sa carrière. Des menaces que l’élève a condamnées auprès de RTL, se disant « désolée pour lui ». (...)
Deux individus identifiés comme étant à l’origine des menaces ont été arrêtés, dans les Hauts-de-Seine et dans le Calvados. Le premier, âgé de 26 ans, doit être jugé le 23 avril à Paris. Le second, jugé en comparution immédiate à Lisieux (Calvados), a été relaxé vendredi 15 mars.
Gabriel Attal, lui, a décidé de faire feu de tout bois au service d’une petite séquence de communication politique. (...)
Après avoir consacré son intronisation Rue de Grenelle, à l’été 2023, à l’interdiction des « tenues islamiques », Gabriel Attal remet cela à Matignon, à une période marquée par les difficultés budgétaires de l’exécutif.
Des effets de manche aux effets délétères (...)
Tant pis si les innombrables annonces ne sont pas toujours suivies d’effet, si la « tornade » Attal secoue les pires fractures de la société et si une jeune étudiante est jetée en pâture, un soir, devant des millions de personnes.