
Anthony Courtais est mort au travail dans une usine de Terrena, poids lourd de l’agro-industrie. La coopérative agricole, qui se défendait de toute faute, vient d’être condamnée pour homicide involontaire après sept ans de procédure.
(...) C’est la troisième fois que des juges déclarent ce poids lourd de l’agro-industrie coupable de cet accident mortel. Par deux fois, la coopérative a contesté sa responsabilité : elle a fait appel de sa première condamnation en 2020 ; puis a décidé d’aller en cassation suite à sa seconde condamnation en 2021. (...)
Quand il s’approche du palettiseur, une large machine qui permet d’empiler ces sacs, monsieur O. s’étonne de voir l’aspirateur en marche, sans personne alentours. Cherchant des yeux celui ou celle qui l’a mis en route, il aperçoit, coincé dans l’appareil, Anthony Courtais, 41 ans, « employé modèle » d’après les témoignages de ses collègues cités dans l’enquête suite à son décès. Anthony Courtais travaillait dans l’entreprise depuis 17 ans, et était père d’une famille de trois enfants. Il est 19h45. Les pompiers qui arrivent peu après ne parviennent pas à le réanimer. (...)
« Anthony disait souvent que cette machine était défectueuse et il regrettait que la maintenance ne se déplace pas toujours, relate sa compagne Rosalie Lekoa, enceinte de quelques semaines au moment du drame.
« C’est une machine qui me faisait très peur, se souvient la veuve. Combien de fois je lui ai demandé de changer de poste ? » Elle n’était pas la seule à être effrayée par le palettiseur. Un ancien collègue d’Anthony Courtais a ainsi rapporté qu’il n’était pas tranquille au moment du nettoyage hebdomadaire, quand il faut entrer dans l’engin encrassé par la poussière et l’humidité ambiante.
« Il a sans doute voulu laisser l’endroit propre avant de s’en aller en vacances », suggère un ancien salarié de l’entreprise qui tient à rester anonyme. Équipé d’un aspirateur, Anthony Courtais entre une première fois dans le palettiseur et trouve au sol des morceaux des maillons qui soutiennent l’ascenseur, lequel est en position haute. Il décide alors de prévenir la maintenance, et appelle son collègue d’astreinte. Il est 19h20. Ce collègue sera la dernière personne qui entend la voix de l’employé.
Défaut de systèmes de sécurité (...)
Seule certitude : il a été convenu que l’agent de maintenance laisserait un message pour ses collègues du lundi, de façon à ce qu’ils règlent le problème à ce moment-là.
Une fois ce coup de fil passé, Anthony Courtais retourne à sa tâche, mais sans pouvoir l’achever. Car soudain, plusieurs attaches de l’ascenseur lâchent et la plaque de 500 kilos dégringole, ne lui laissant aucune possibilité de s’enfuir ni de s’extirper. Il a juste le temps de se recroqueviller sur lui-même, avant de mourir écrasé. (...)
Pour Rosalie Lekoa, les défauts récurrents de maintenance, l’habitude de se débrouiller avec du matériel défectueux et l’obligation de faire vite sont des explications plus plausibles que l’imprudence de son mari. Si l’on en croit les enquêtes menées par l’inspection du travail et la gendarmerie, Anthony Courtais n’était pas le seul à s’aventurer sous l’ascenseur sans prendre toutes les précautions requises.
Une machine qui a 26 ans (...)
« tout le monde se démerde comme il peut pour avancer et faire le boulot malgré les difficultés. Anthony Courtais était là depuis presque 20 ans, il s’était habitué au fait que cela ne marche pas toujours comme il fallait. » (...)
Le jour de l’accident d’Anthony Courtais, la sonnerie d’alerte qui se met en route dès qu’on pénètre dans le palettiseur était désactivée. Depuis quand ? Mystère. L’enquête n’a pas réussi à l’établir. Ce qui est clair, en revanche, c’est qu’il était habituel de shunter cette sonnerie, car son bruit était apparemment intolérable. (...)
Terrena coupable d’homicide involontaire
Dans l’usine de Terrena, en 2017, les employés pouvaient d’autant plus oublier le danger du palettiseur que celui-ci n’était pas clairement indiqué sur l’engin. Cela a été déploré par plusieurs interlocuteurs au fils des années d’enquêtes et d’audiences, de même que l’absence de prévention spécifique lié à l’activité de nettoyage, pourtant à (très) haut risque. (...)
Le casier judiciaire de la coopérative a interpellé les juges, car il comporte trois condamnations dont deux en 2015 pour « homicide involontaire » et « blessures involontaires causant une incapacité de plus de trois mois ». À chaque fois, il y a eu infraction à la réglementation sur la sécurité. (...)
« Compte tenu de [la] situation financière de la coopérative - dont le chiffre d’affaire s’élève à près de 5 milliards d’euros, et le résultat net à deux millions d’euros », les juges ont par ailleurs décidé de porter son amende de 20 000 à 30 000 euros. (...)