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Mediapart
Algérie : plus de 200 détenus d’opinion jetés aux oubliettes
#Algerie #repression #libertedexpression
Article mis en ligne le 28 mars 2025
dernière modification le 27 mars 2025

En plus de Boualem Sansal, des centaines de personnes sont emprisonnées pour s’être exprimées librement, avoir vanté le Hirak, le mouvement de contestation sociale né en 2019, ou défendu les droits humains. Mediapart en dresse une liste non exhaustive.

(...)
plus de deux cents détenus d’opinion (une majorité d’hommes et quelques femmes) dont il n’est presque jamais question, souvent arrêtés et enfermés de façon arbitraire, qui croupissent en prison dans l’attente d’une potentielle grâce présidentielle – la dernière date de novembre 2024 et avait concerné une dizaine d’entre eux.

Difficile de trouver aujourd’hui, en Algérie, les témoins de la répression ambiante. Celles et ceux qui autrefois documentaient les atteintes aux droits humains et les arrestations arbitraires, et qui tentaient d’alerter le reste du monde sur les dérives d’un pouvoir de plus en plus autoritaire, ont été réduits au silence. La Ligue algérienne de défense des droits de l’homme (LADDH) a été dissoute en 2023, comme de nombreuses autres ONG spécialisées dans les droits humains, poussant leurs dirigeant·es sur les routes de l’exil, en France ou en Belgique. (...)

De petites associations socioculturelles, comme Bel Horizon ou l’association Santé Sidi El-Houari (Mediapart a raconté, en 2019, comment la structure préservait le patrimoine local à Oran et formait des jeunes en décrochage scolaire à différents métiers manuels), ont disparu dans le silence, voyant leurs locaux mis sous scellés du jour au lendemain, soupçonnées d’ingérence étrangère au prétexte qu’elles recevaient des fonds de l’Union européenne.

Il devient « difficile de documenter ce qu’il se passe là-bas », explique Monia Ben Jemia, présidente de l’ONG EuroMed Droits, qui tente malgré tout de garder un œil sur la répression en Algérie. « On a encore des contacts, on continue de travailler sur cette zone. Mais tout est verrouillé : la presse, le monde associatif, l’opposition. » Selon les estimations de Human Rights Watch (HRW), « au moins plusieurs dizaines de personnes sont détenues pour leurs opinions ou leur activisme » en Algérie.

Record d’arrestations en 2024

Mais l’ONG précise qu’il est « de plus en plus difficile de documenter les cas de façon exhaustive étant donné la sévère répression dans le pays ». « Cela a conduit à l’anéantissement de l’espace civique, des organisations de défense des droits humains et de la presse », regrette Bassam Khawaja, directeur adjoint pour l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient de HRW. La dernière liste de détenu·es d’opinion, dressée par le défenseur des droits humains Zakaria Hannache en décembre 2024, comporte 217 noms. Elle est non exhaustive.

« J’ai documenté 46 arrestations, 28 gardes à vue, 28 mandats de dépôt depuis le début de l’année 2025, écrit-il sur sa page Facebook le 21 février, indiquant une hausse du nombre de détenus depuis. J’ai également documenté 243 prisonniers d’opinion actuellement en prison, [dont] je vais partager la liste des noms prochainement. » La liste actualisée sera diffusée dans les prochaines semaines. (...)

En décembre, le média Le Matin d’Algérie a fait le choix de publier la liste, la traduisant de l’arabe au français. Depuis, des personnes ont été libérées, parce qu’elles ont purgé leur peine ou bénéficié d’une grâce présidentielle. Nous publions également cette liste, bien qu’elle doive encore être mise à jour par son auteur. (...)

Sur Facebook, la page « Détenus d’opinion » tente de tenir le même recensement, au jour le jour, en publiant noms et photos ; de même que le militant du Hirak Kacem Saïd, lui-même placé sous mandat de dépôt en 2021, accusé entre autres d’« appartenance à une organisation terroriste », « atteinte à l’unité nationale » et « atteinte au moral de l’armée ». Ce sont là les dernières voix qui trouvent encore le courage et la force d’affronter le régime en place. (...)

Selon Zakaria Hannache, 187 détenu·es sur 243 sont ainsi poursuivi·es sur la base de l’article 87 bis du Code pénal, relatif au terrorisme, ce qui a pour effet de rallonger la période de détention et d’aboutir à des condamnations « beaucoup plus lourdes ». Dans un pays comme l’Algérie, où le terrorisme a traumatisé des générations entières, la symbolique de cette accusation pèse lourd sur les accusés : « Le pouvoir joue là-dessus. Beaucoup parmi les détenus d’opinion dénoncent leur enfermement mais surtout le lien fait avec le terrorisme. » (...)

S’agissant de Boualem Sansal, Bassam Khawaja (HRW) estime que son cas « illustre bien la répression qui sévit en Algérie, contre ceux qui critiquent les autorités ou expriment des opinions qui leur déplaisent ». Il réitère son appel aux autorités algériennes : « Il faut libérer tous ceux qui sont injustement emprisonnés, Sansal mais aussi tous les autres Algériens qui ne bénéficient d’aucun soutien ou visibilité. »