
Son dernier ouvrage en date se présente en une série de chroniques littéraires, réalisées à la volée, agrémentée d’une nouvelle inédite. Il y raconte l’épicentre de la modernité, la Silicon Valley, comme d’arpenter la Mésopotamie au IVe millénaire ou la Rome du temps d’Auguste.
Ni technophobe, ni technolâtre
Les modes de vie qui nous attendent, mais aussi les origines, les principes de notre réalité actuelle, façonnés, portés et défendus par des hommes et des femmes, voici ce qu’Alain Damasio est allé toucher. L’écrivain nous partage : « Initialement, ce projet n’était pas prévu, ni même anticipé, à l’inverse d’un roman comme Les Furtifs, qui m’a occupé pendant 15 ans. Je suis allé me confronter avec l’univers que je critiquais depuis 30 ans, celui des technologies. J’avais besoin de voir, de me ressourcer, d’absorber les informations tel un buvard. »
Finalement, il s’est lancé le défi d’écrire « une sorte de carnet de voyage », pour capturer ses observations sur place (...)
Si tu vas à San Francisco
Le romancier ne cherche pas à dire le bien ou mal, mais plutôt à explorer ce monde tel qu’il est, qui se nourrit de nos désirs comme une matière première : « Ils sont captés, exploités, activés, fructifiés. » L’approche est transversale, qui inclut une dimension psychologique, presque libidinale, s’apparentant à une forme de psychanalyse freudienne d’’Homo sapiens.
L’ombilic du monde se trouve sur la côte ouest américaine, à San Francisco, avec sa complexité captivante et déroutante, qui sert de toile de fond à Alain Damasio. Une ville de la richesse alliée à la misère la plus crasse (...)
Alain Damasio a rencontré une société où la conception anglo-saxonne de l’individualisme est à son paroxysme, « qui pousse les gens à devenir de véritables auto-entrepreneurs de leur propre vie ». Mais surtout des personnes fermées sur elles-mêmes et isolées des dimensions affectives, dont on ne discute pas ouvertement.
Les Américains de ces contrées, très gentils, polis, mais ils s’en foutent de toi, pour résumer ? (...)
ActuaLitté.
Miracle africain
À la fin de son séjour, il a eu un moment d’épiphanie, de révélation. Il nous raconte : « J’ai rencontré un Français, et nous sommes allés manger dans un restaurant burkinabé. L’ambiance y était différente, et les mamas qui nous servaient mettaient de l’amour dans chaque plat, c’était sensible à chaque bouchée. On pouvait sentir qu’elle faisait cela pour faire plaisir aux gens. À côté, il avait mangé dans des chaînes où tout est pensé par des consultants, avec des prolétaires qui te servent machinalement. J’ai éprouvé ce contraste et je me suis dit que l’Afrique nous sauvera. »
Des relations plus instinctives, habitées, chaleureuses, « et cela fait un bien fou ». (...)
Une des principales particularités qu’il a observée chez ces acteurs clés de notre modernité est encore la manière dont, pour ces derniers, toute relation doit passer par une interface numérique (...)
Éthique protestante et esprit des GAFAM
Néanmoins, forcé de constater qu’en 2024, nous sommes par exemple revenus aux chiffres de fréquentations des cinémas pré-covid, « prouvant qu’il n’y avait pas de fatalité. Autre signe : le bide du métavers de Meta, pour le moment en tout cas. » Alain Damasio voit aussi dans cet échec les conséquences d’un sentiment de surpuissance qui rend mégalomane. (...)
Alain Damasio, dans sa volonté de descendre aux racines de la Silicon Valley, s’est notamment appuyé sur les travaux du sociologue Fred Turner, qui évoque le paradigme très particulier des puritains qui ont débarqué en Amérique et façonné la future plus puissante nation du monde (...)
La vie qui se nourrit de la mort
La technologie, c’est également, dans sa dimension transhumaniste, l’espoir de devenir immortel. Cette édition 2024 des Imaginales a choisi de voir la vérité en face : Memento Mori (Souviens-toi que tu vas mourir).
Alain Damasio salue le choix du directeur artistique Gilles Francescano, le thème de la mort souvent vécu comme tabou de nos jours. (...)
« C’est à travers l’écriture que je fais face à ma propre mortalité. Mes écrits permettent de faire revivre des moments, des émotions et des idées passées. Ils resurgissent continuellement, me rappelant que chaque instant est précieux et mérite d’être vécu pleinement. » (...)