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“Adoption internationale, un scandale planétaire”, une enquête édifiante sur la marchandisation des enfants
#adoption #enfants #marchandisation
Article mis en ligne le 15 novembre 2024
dernière modification le 12 novembre 2024

Nourri par les récits de personnes nées à l’étranger, un documentaire fouillé lève le voile sur l’ampleur des trafics autour de l’adoption. Et dresse le constat d’une dérive liée au déséquilibre des relations Nord/Sud. À voir sur Arte.

Les images datent des années 1960. Un cortège d’hôtesses de l’air, les bras chargés de bébés emmitouflés, débarque sur le tarmac d’un aéroport. Au bout d’un couloir, des parents adoptifs fébriles les attendent, puis étreignent l’enfant tant désiré dans un tourbillon d’émotion… Si elles ont choisi d’ouvrir leur film par des scènes heureuses de l’adoption internationale, c’est sa face sombre que les réalisatrices Christine Tournadre et Sonia Gonzalez explorent dans leur remarquable documentaire Adoption internationale, un scandale planétaire, diffusé sur Arte. Aux larmes de bonheur succèdent les révélations sordides extraites de journaux télévisés européens : « usines à bébés », « adoptions illégales », « enfants volés »… Comme autant de répliques d’un interminable séisme.

Cette vaste enquête porte en réalité l’écho de milliers d’autres : celles menées partout dans le monde par les personnes adoptées dans un autre pays que celui de leur naissance. (...)

c’est « une vague qui déferle », constituée par les générations d’enfants adoptés dans les années 1980 et 1990. (...)

Sur les pas de ces lanceurs d’alerte, les documentaristes naviguent entre pays d’accueil et d’origine, mettant au jour l’ampleur des failles : partout, la marchandisation de l’adoption engendre des pratiques illicites (falsification de documents, réécriture de l’histoire des enfants…), des abandons forcés et des trafics criminels. « Il nous tenait à cœur de montrer le caractère systémique des fraudes, souligne Sonia Gonzalez. Les mécanismes de corruption, par exemple, sont similaires d’un pays à l’autre. C’est toujours le même genre d’intermédiaires qui est impliqué. »

Comment de telles dérives ont-elles pu s’étendre et persister, malgré la mise en œuvre de la Convention sur la protection des enfants de La Haye, signée et majoritairement ratifiée par une centaine d’États depuis 1993 ? Pour donner à comprendre ce phénomène, le film inscrit habilement les parcours individuels dans une histoire globale de l’adoption internationale, qui débute au lendemain de la guerre de Corée (1950-1953). Durant des décennies, les attentes des parents occidentaux en mal d’enfants sont « colossales », constate Christine Tournadre : « Elles créent un déséquilibre entre l’offre et la demande et entretiennent une concurrence entre les pays de départ et entre les différents agents de l’adoption. On va créer de faux orphelins pour nourrir ce marché. » (...)

« Les États d’accueil ont fermé les yeux sur beaucoup de situations douteuses, poursuit Sonia Gonzalez. Ils ont facilité l’entrée de ces enfants sans grandes vérifications, alors que nombre d’entre eux étaient issus de dictatures et de régimes corrompus. Les trafics ont été possibles grâce à cette complaisance, qui elle-même traduit une certaine vision du monde. L’adoption internationale repose sur des mythes, notamment sur le mythe du sauveur blanc, aujourd’hui largement questionnés et déconstruits. » (...)

Les adoptés qui demandent aujourd’hui des comptes se heurtent massivement au silence et à l’opacité. Un difficile accès à l’information également expérimenté lors du tournage. En Corée du Sud, pays pionnier de l’adoption internationale, impossible de rencontrer le moindre représentant officiel. Au Chili, les autorités font traîner l’enquête ouverte concernant le scandale des vols d’enfants sous la dictature… Les pays d’accueil ne font pas mieux. L’Allemagne, particulièrement fermée sur la question, pratique la politique de l’autruche. En France, les demandes des réalisatrices sont reçues avec suspicion par la Mission de l’adoption internationale (...)

Si la démonstration est accablante, jamais le film ne tourne au réquisitoire sans nuance, soucieux d’éclairer des logiques complexes et opposées, au fil d’un montage ciselé. (...)

Nul n’est négligé, ni les adoptés animés par la nécessité de dissiper les ombres de leur passé pour avancer, ni les parents adoptifs confrontés aux réalités troubles qu’ils avaient occultées, ni les parents biologiques brisés par une vie vécue sans l’enfant qui leur a été enlevé. Alors que les adoptés nés au début des années 2000, lors du pic de l’adoption internationale, entrent dans l’âge adulte, c’est une nouvelle vague qui s’apprête à déferler, avec le même besoin de savoir. De quoi renforcer encore la pression exercée sur chaque pays concerné, mis face au défi de la transparence et de la réparation.

Voir le documentaire sur ARTE TV (92 min, Disponible jusqu’au 17/06/2025)