
La mairie de Toulouse a annulé la tenue d’une exposition de MSF consacrée à la situation vécue par la population civile de Gaza. Une décision que l’hôtel de ville n’hésite pas à justifier en convoquant à demi-mot le spectre de l’antisémitisme.
Ce pourrait presque être un sujet du bac philo : qu’est-ce qui trouble le plus l’ordre public ? Une guerre de quinze mois faisant plus de 45 000 morts dans un seul camp, dont une immense majorité de civils, enfants compris ; ou les manifestations pacifiques qui s’opposent à ces massacres ? À Toulouse, la mairie dirigée par Jean-Luc Moudenc (ex-Les Républicains) a planché pour finalement décider d’annuler une exposition consacrée à la situation dans la bande de Gaza, car « sa tenue pose un risque évident de trouble à l’ordre public », selon les arguments que le service communication de la ville a communiqués à Mediapart.
Intitulée « We did what we could » (« nous avons fait ce que nous pouvions »), cette exposition a été réalisée par l’ONG Médecins sans frontières (MSF). Elle entend, selon les supports de communication joints, « raconter le siège, les bombardements et l’horreur du quotidien à Gaza à travers l’expérience de ses soignants, en première ligne du conflit […]. Ils témoignent des attaques d’Israël contre les hôpitaux et racontent leur quotidien qui rend leur mission quasi impossible : les afflux massifs de patients, les déplacés qui s’y réfugient, les pénuries de médicaments et de nourriture et les ordres d’évacuation ». Bref, un travail de documentation d’autant plus précieux qu’il agrège des témoignages directs de concerné·es sous le feu et sur un terrain fermé aux médias du monde entier depuis quinze mois. « We did what we could » a d’ailleurs été présenté lors de la 31e édition du prix Bayeux des correspondants de guerre en octobre dernier.
À Toulouse, l’exposition était proposée dans le cadre du festival annuel Cinéma et droits de l’homme et devait se tenir du 6 au 26 janvier dans les locaux de l’Espace diversités laïcité de la ville. Un vernissage était annoncé le 11 janvier en présence d’Isabelle Defourny et d’Andrea Bussotti, respectivement présidente et directeur de la communication de MSF.
Dans une lettre ouverte adressée au maire de Toulouse, publiée lundi 6 janvier, la présidente de MSF et ses cosignataires (Amis du Monde diplomatique, Médecins du monde, Amnesty International Midi-Pyrénées, l’ACAT Centre-Pyrénées et le CCFD-Terre solidaire 31) se disent « consternés par [la décision de la mairie] de refuser d’accueillir [cette] exposition ». (...)
À notre connaissance, aucune des graves insinuations contenues dans l’article d’Actu Toulouse - qui parle quand même de « commerces “estampillés juifs” pris pour cible à Toulouse » – n’a été suivie de plaintes pour des faits ou des propos antisémites. Interrogé pour savoir si la mairie se base sur d’autres faits que ceux-là lorsqu’elle évoque des magasins ciblés « au motif de leur prétendu soutien à Israël, sur le seul motif de la judéité présumée de leur propriétaire », le service de communication répond que « depuis, cela s’est produit avec d’autres magasins », sans pouvoir dire lesquels, et en admettant que les services ne sont pas allés au « niveau de détail » (sic) permettant de distinguer des actions de boycott politique d’actes antisémites…
« On dénonce totalement cette manière d’instrumentaliser la nécessaire lutte contre l’antisémitisme, s’insurge Tom Martin, porte-parole du collectif Palestine vaincra. En réalité, la mairie de Toulouse criminalise l’expression de toute solidarité avec la Palestine depuis de nombreuses années, comme on le voit encore une fois avec l’annulation de cette exposition de MSF. On a eu les vœux anti-BDS en 2016, l’affaire Salah Hamouri plus récemment… Ils instrumentalisent la lutte contre l’antisémitisme, c’est coutumier mais ça n’en est pas moins abject. » En mai 2023, la venue de l’avocat franco-palestinien Salah Hamouri à Toulouse avait fait l’objet d’une soirée perturbée par des soutiens d’Israël, au premier rang desquels une élue de la majorité, proche de Jean-Luc Moudenc. (...)
« Cette décision [d’annulation], en privant le public du festival d’accès à cette exposition, participe à la déshumanisation de la population palestinienne », regrettent les cosignataires de la lettre ouverte, qui se disent « déterminés à la présenter au public toulousain dans les semaines à venir ».