
Depuis la fin officielle des combats le 10 octobre, 87 Palestiniens ont été tués. Au milieu des ruines, les Gazaouis n’ont toujours aucune prise sur leur destin. La guerre menace de reprendre à tout moment.
(...) Le jeune Palestinien de 24 ans, étudiant en droit avant la guerre, est parti avec quelques amis du quartier, en éclaireur, laissant sa mère et ses plus jeunes frères dans le centre de la bande de Gaza. Il voulait préparer leur retour et « préserver la maison des pillards », explique-t-il dans une série de messages à Mediapart – Israël interdit toujours l’accès à Gaza aux journalistes étrangers.
Le 14 octobre, vers 7 h 30 du matin, le jeune homme a été réveillé par des tirs et des bombardements ; l’armée israélienne, assure-t-il, avançait vers eux. Il est resté piégé chez lui six heures. « C’est seulement quand on a senti que les explosions et les tirs étaient moins nourris qu’on est sortis, par groupes de trois, en courant, jusqu’à ce qu’on soit hors de danger », décrit-il. (...)
Selon la Défense civile gazaouie, sous contrôle du Hamas, cinq Palestiniens ont été tués ce jour-là à Shuja’iyya. L’armée israélienne a reconnu avoir tiré après que « plusieurs suspects ont été repérés en train de franchir la ligne jaune et d’approcher les troupes » dans le nord de Gaza.
Cette ligne virtuelle délimite la zone derrière laquelle l’armée israélienne s’est retirée après le cessez-le-feu. Certains Palestiniens la franchissent sans le savoir, en voulant rentrer chez eux. « C’est terrifiant. Nous pensions que la guerre était finie mais malheureusement, tant que nous ne sommes pas dans nos maisons, même si elles sont en ruine, la guerre n’est pas finie », regrette Mohammed Daher.
Des corps palestiniens non identifiés
Dimanche 19 octobre, pendant quelques heures, le cessez-le-feu a même volé en éclats. Selon le ministère de la santé, 45 Palestinien·nes ont été tués, dont Ahmed Abou Matar, un ingénieur du son de Palestine Media Production, une société de production qui travaille notamment avec la chaîne de télévision allemande ZDF. L’armée israélienne l’a accusé d’être membre du Hamas. En tout, Israël a lancé 153 tonnes de bombes sur l’enclave palestinienne.
La guerre a repris après que deux soldats israéliens ont été tués à Rafah, dans le sud de la bande de Gaza, où les troupes étaient en train de détruire des bâtiments. Les Israéliens affirment qu’ils ont été la cible d’un tir antichar, le Hamas a démenti opérer dans cette zone qui est sous le contrôle de l’armée, derrière la ligne jaune. Dimanche soir, le président états-unien, Donald Trump, actait la fin des bombardements, annonçant que le cessez-le-feu était toujours en vigueur.
Depuis le 10 octobre, selon les statistiques du ministère de la santé local, 87 Palestiniens ont été tués et 311 autres blessés. Beaucoup de familles cherchent encore les leurs. 432 corps ont été récupérés sous les décombres depuis le cessez-le-feu. La semaine dernière, Israël a restitué 120 dépouilles de Palestiniens, par le biais du Comité international de la Croix-Rouge, sans fournir aucun élément pour les identifier ou éclairer les circonstances de leur mort. (...)
L’avenir impossible
« Il y a quelque chose de brisé en nous, confie Suhaib Abou Saif, joint par téléphone. De quoi puis-je bien me réjouir ? La perte de ma maison, de ceux qui me sont chers, de nos rêves, notre futur ? » Le travailleur social de 30 ans vit chez son frère, dans le centre de la bande de Gaza avec son épouse et sa fille de 2 ans, Loujaine. Sa génération, dit-il, celle des jeunes hommes nés entre les années 1990 et 2000, avait tenté de se bâtir un avenir malgré le chômage et le blocus. Elle a tout perdu.
Lui en est persuadé : la guerre va reprendre, dès que les corps de tous les otages israéliens seront rendus. En attendant, observe-t-il, Gaza est enferrée dans les traumatismes et les deuils. L’horreur qu’on avait enfouie dans l’urgence refait peu à peu surface. Tout le monde a les nerfs à vif. (...)
Ces âmes broyées vivent dans les ruines et luttent encore pour survivre au quotidien. Depuis le 10 octobre, 530 camions du Programme alimentaire mondial (PAM) sont entrés dans l’enclave, juste assez pour « nourrir près d’un demi-million de personnes pendant deux semaines », selon l’organisme onusien. La bande de Gaza compte 2,3 millions d’habitant·es qui dépendent, dans leur grande majorité, uniquement de l’aide humanitaire. Le PAM réclame notamment la réouverture du point de passage de Zikim, dans le nord de la bande de Gaza.
« Ceux qui retournent dans la ville de Gaza [dans le Nord] sont les plus vulnérables, car il n’y a pas d’eau, constate Samir Zaqout, directeur adjoint de l’ONG palestinienne de défense des droits humains Al Mezan, joint par téléphone depuis le centre de la bande de Gaza. La plupart des puits ont été détruits, les usines de dessalement sont en ruine ou démantelées. Sans le rétablissement de l’électricité à Gaza, les souffrances continueront. »
Reprise en main du Hamas
Les pillages, en revanche, ont cessé. Dès l’annonce de l’entrée en vigueur du cessez-le-feu, le 10 octobre, les membres des forces de sécurité du Hamas ont essaimé à travers les rues de l’enclave palestinienne. Le lendemain, de violents affrontements ont éclaté entre les recrues du mouvement islamiste et des hommes armés d’un puissant clan de Gaza, les Doghmosh – 27 personnes sont mortes, huit membres du Hamas et dix-neuf côté Doghmosh. Ces derniers sont notamment accusés d’avoir tué le journaliste Saleh Aljafarawi, dont le corps a été retrouvé le 12 octobre. Il avait 28 ans.
Le Hamas a enjoint aux Palestiniens qui avaient rejoint les gangs de pillards de se signaler, leur promettant l’amnistie, à condition qu’ils n’aient pas de sang sur les mains. La reprise du contrôle sécuritaire a été brutale : le 13 octobre, des vidéos postées sur les réseaux sociaux montraient un groupe d’hommes armés abattre en pleine rue huit Gazaouis, les yeux bandés et les mains liées, devant la foule.
L’organisation de Samir Zaqout, Al Mezan, a condamné « fermement les exécutions extrajudiciaires de Palestiniens », demandant « une action collective pour préserver la cohésion sociale » à Gaza. Samir Zaqout insiste : « Notre position est ferme : nous défendons l’État de droit. » Lui aussi veut voir ces hommes punis, car ils ont collaboré avec Israël, organisant le pillage de l’aide humanitaire pourtant vitale à Gaza – ils sont d’ailleurs honnis de la population au même titre que l’occupant. « Ce sont des criminels, résume-t-il. Mais il est inacceptable d’arrêter et de tuer des gens dans la rue sans qu’une enquête ait été menée, sans décision de justice, etc. » (...)
Le mouvement islamiste signe cependant son retour en force sur la scène gazaouie, bien loin des promesses de désarmement. « Il y a encore de l’espoir que le Hamas agisse correctement, a posté en guise d’avertissement le président états-unien le 21 octobre sur son réseau Truth Social. Sinon, la fin du Hamas sera RAPIDE, INTENSE ET BRUTALE ! »
Samir Zaqout, lui, a « la conviction que quoi que fasse Nétanyahou, la guerre est finie ». Les Palestiniens sont restés à Gaza – il y voit une victoire sans appel. Lui-même a fait la promesse de ne pas partir : ce petit bout de terre, dit-il, fait partie de son âme.