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club de Mediapart/ JuifvesAnarchistes
Nous ne voulons pas de deux États, nous n’en voulons plus aucun - Juifves Anarchistes...
#Israel #Gaza #Cisjordanie #genocide #antisemitisme #antisionisme #anarchisme
Article mis en ligne le 9 décembre 2025
dernière modification le 7 décembre 2025

Nous sommes plusieurs juifs et juives anarchistes, partageant discussions et convictions. Face au sentiment de solitude vis-à-vis de l’antisémitisme dans nos milieux, nous retrouver et en parler nous a fait du bien. Nous espérons que ce texte permettra aussi à d’autres de se sentir moins seul-es.

(...) Avant d’aller plus loin, il nous semble important de donner quelques éléments pertinents permettant de nous situer par rapport aux positions avancées dans ce texte. Nous sommes juifves et nous vivons en Île-de-France. Nous sommes anarchistes : pour nous, et particulièrement ici, cela veut dire de lutter activement contre toutes les dominations et pour l’émancipation de tous les peuples. Nous parlons depuis les mouvements sociaux aux mouvements sociaux : nous y participons, nous nous y impliquons avec des pratiques anarchistes et nous souhaitons nous adresser aux autres personnes qui y participent, juifves ou non, anarchistes ou non.

Si nous écrivons ce texte, c’est d’abord parce que nous en ressentons le besoin. Nous souhaitons aussi faire exister une voix juive anarchiste et ouvrir des débats au sein de ces deux milieux. Enfin, c’est surtout parce que nous pensons qu’il est important de défendre d’autres positions et grilles de lecture que celles des deux positions juives qui prennent part aux mouvements sociaux et qui s’enferment dans des accusations ("sionistes" contre "antisémites"). Nous sommes sur une ligne de crête : parce que nous cherchons à créer un chemin entre ces deux camps ; mais aussi parce que nous ne sommes pas sûr-es de nous, de ce que nous avançons, et souhaitons prendre des précautions. Nous souhaitons également préciser que nos seules activités communes sont des discussions informelles et ce texte, notre seule production formelle à ce jour. Il y aura sûrement du monde qui trouvera beaucoup de choses à redire, les mots choisis ne seront peut-être pas toujours les bons, nous pourrions ne plus être d’accord avec certaines affirmations dans quelques mois... Nous assumons et revendiquons cette fragilité, dans la perspective d’avancer ensemble.

Il nous semble important de le répéter : nous écrivons depuis la France, aucune bombe ne nous tombe dessus. Nos pensées et notre soutien vont avant tout aux Palestinien-nes qui les subissent. Nous ne vivons pas non plus en Israël. Cette distance (physique et d’expériences) nous force à l’humilité. C’est aussi en raison de cette distance que nous parlons essentiellement de ce qui se passe en France et non en Israël/Palestine. Elle nous permet également de prendre du recul, de la distance critique, et de tenter d’avancer (timidement) des pistes de réflexion, notamment sur notre contexte français, à têtes un peu plus reposées. (...)

Depuis octobre 2023, nous partageons un malaise jamais ressenti auparavant. Il nous est compliqué, parfois impossible, d’évoquer, de discuter du 7 octobre, des victimes civiles israéliennes, et de l’antisémitisme présent dans les mouvements sociaux. Nous avons vu avec étonnement, peut-être par naïveté, certain-es de nos camarades soutenir des personnes antisémites, tenir des propos et soutenir des personnes antisémites, faire l’amalgame entre juifve, sioniste et Israélien-ne, comparer Israël et le régime nazi ou le génocide en Palestine avec la Shoah... Ce malaise nous a pour beaucoup marginalisé dans les mouvements de soutien à la Palestine.

L’opposition entre deux camps de "juifves de gauche" ne date pas de 2023. Nous n’avons absolument pas l’ambition d’expliquer ces différends, et nous renvoyons pour cela aux textes de Golem, Juifs et Juives Révolutionnaires, Tsedek et de l’Union Juive Française pour la Paix (bon courage !). Pour autant, à l’extrême gauche, nous pensons qu’avant octobre 2023, il n’y avait pas de rupture. Nous lisions régulièrement les textes des organisations citées, et sans rejoindre à 100% les positions d’aucune d’entre elles, nous pouvions y puiser des analyses intéressantes - ce qui est toujours le cas - et les conflits entre elles restaient marginaux. Depuis un an et demi, les positions a priori pas antagonistes par essence, se sont (au moins en apparence) éloignées, rigidifiées, et s’opposent sans que plus rien ne bouge. Les critiques et accusations mutuelles occupent désormais une place extrêmement importante dans le discours de toutes ces organisations.

Ce campisme (réduire une situation politique à une opposition entre deux camps et se rallier systématiquement à l’un des deux) s’accompagne de positions qui s’éloignent des nôtres, plus qu’avant, sur le sionisme comme sur l’antisémitisme. (...)

Sionisme et antisionisme

Il n’y a pas de définition du "sionisme" qui serait acceptée par tout le monde et plusieurs se font concurrence. C’est pour nous un problème d’utiliser ce terme ambigu lorsqu’il n’est pas clairement défini, ce que nous nous appliquons à faire rapidement ici.

Historiquement, le sionisme vise la création d’un foyer national juif, généralement au travers d’un nouvel État en Palestine. Par la suite (et notamment dans le contexte français), le terme a souvent été utilisé pour critiquer celles et ceux qui soutiennent la politique du Gouvernement Israélien. Nous voyons donc (au moins) deux définitions se distinguer : l’une "historique", qui défend la création d’un État-Nation juif, et une autre "moderne", qui serait la défense de l’État d’Israël et de ses politiques d’aujourd’hui. Toutefois, les deux se confondent souvent, et nous le voyons par exemple avec l’accusation de sionisme envers les personnes qui défendent une solution à deux États, position qui pourrait correspondre à ces deux définitions de "sionisme". Celles-ci sont très lacunaires, et pourraient être largement développées. Dans ce texte, lorsque nous parlons de "sionisme" nous renvoyons au projet politique prônant la création et la défense d’un État nation juif. Être antisioniste revient donc pour nous à s’opposer à l’existence d’un État-Nation juif, et dans notre contexte, en Palestine.

Nous nous opposons aux confusions qu’entrainent l’utilisation du mot sioniste comme un équivalent systématique de fasciste et/ou de pro-génocide, même s’il est nécessaire de rappeler que Netanyahou et son Gouvernement appliquent des politiques fascistes. (...)

Contre l’antisémitisme...

Militant-es en région parisienne dans les sphères anarchistes, autonomes et antifascistes, nous côtoyons les militant-es juifves antisionistes et leurs organisations dans les luttes que nous menons. Nous avons accueilli positivement la création de Tsedek et nous sentions plutôt proches de leurs discours. C’est cette proximité idéologique a priori qui rend la suite particulièrement douloureuse pour nous. Pour cette partie, nous renvoyons également aux positions défendues par l’UJFP.

Notre première et principale critique de ces organisations est l’incapacité à voir de l’antisémitisme à gauche. Cela passe par une minimisation des actes antisémites issus de la gauche qui sont dénoncés et/ou une dénonciation qui est faite principalement pour pointer d’autres actes racistes - généralement islamophobes. S’il est évident que les juifves et les musulman-es ne vivent pas les mêmes discriminations, il est également évident que les juifves subissent de l’antisémitisme en France (qui ne provient pas que de l’extrême droite). Dénoncer l’un ne devrait en aucun cas empêcher de dénoncer l’autre. L’antisémitisme est un racisme systémique et structurel. Il a ses spécificités, d’où un nom spécifique, comme les autres. Il n’est pas plus ou moins important. La mise en concurrence des racismes est un écueil qui sert des projets fascisants. (...)

Nous sommes également choqué-es de la reprise par une partie de nos camarades de la thèse islamophobe du "nouvel antisémitisme", selon laquelle les personnes antisémites seraient désormais d’autres personnes minorisées, arabes et/ou musulmanes. pour l’expliquer et la justifier (et ainsi justifier l’antisémitisme). Pour les personnes qui défendent cette thèse dans le camp du mouvement social, l’association juifves/Israël serait de la responsabilité des juifves et justifierait ainsi les actes antisémites. Pour certain-es, cela s’accompagne d’un cadre théorique plus large, qui met en priorité la question du racisme vis-à-vis de toute autre discrimination, de classe et de genre notamment, auquel nous opposons des approches intersectionnelles en analysant comment les différentes formes d’oppression s’articulent et se renforcent mutuellement. La reprise de ces différentes thèses réactionnaires sont pour nous des échecs théoriques cuisants de la pensée révolutionnaire. (...)

Nous le disions plus haut : l’antisémitisme est un racisme systémique. Il est donc tout à fait normal que des personnes aient des propos (et parfois des actes) antisémites inconsciemment. Nous avons le droit d’être agacé-es ou en colère par ces propos à un niveau individuel. Mais lorsqu’il s’agit de produire un texte collectif au nom d’une organisation politique, nous attendons plus de consistance et de recul. (...)

Soyons donc pragmatiques, il y a des revendications qui pourraient trouver des réponses dès maintenant : un véritable cessez-le-feu et la libération des prisonnier-es sont des préalables à quoi que ce soit d’autres.

Nous souhaitons tout de même rappeler que notre position d’écrire depuis la France nous rend impossible et inutile de prescrire ce qu’il faudrait faire en Israël/Palestine. Cela ne nous empêche pas d’avoir des revendications, mais nous sommes réalistes par rapport au fait qu’elles n’auront aucune portée là-bas. Cette distance nous permet de prendre du recul, et d’éviter le campisme. À ce titre, nous en attendons beaucoup plus de nos camarades en France qu’en Israël/Palestine.

Pour finir, nous souhaitons réaffirmer à la fois nos pratiques et nos objectifs : participer à construire un mouvement de libération des Palestinien-nes, en combattant avec force l’antisémitisme sous toutes ses formes et d’où qu’il vienne ; et le sionisme sous toutes ces acceptions ; et à terme d’œuvrer pour la disparition de toute domination politique (...)

Le but de notre texte n’est pas de nommer des ennemis, mais de pointer des éléments problématiques parmi nos potentiel-les camarades pour avancer ensemble.

Contre tous les États et toutes les dominations, faisons vivre l’Anarchisme !

N’hésitez pas à nous contacter pour faire des retours, commentaires ou critiques et réfléchir ainsi ensemble à la suite !

Juifves Anarchistes Contre l’Antisémitisme (JACA)