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Zéro personne à la rue : plutôt que de les héberger, effacer les gens des statistiques
Le collectif de Professionnel de l’Urgence Sociale collectifpus@riseup.net
Article mis en ligne le 1er février 2018

Alors que le Président avait promis que plus personne ne dormirait à la rue cet hiver, sur le terrain on en est encore loin. Une solution a été trouvée : écarter des statistiques certaines populations jusqu’à atteindre le chiffre de zéro personne à la rue.

(...) Nous, professionnels de l’urgence sociale, avons été sommés de signaler les personnes « réellement à la rue », celles que nous rencontrons, l’idée sous-jacente étant de faire diminuer artificiellement le chiffre de 3000.

Les personnes non signalées sont, elles, considérées « non véritablement à la rue ». C’est bien connu, lorsque l’on est hébergé par un tiers dans de bonnes conditions, on aime à composer le 115 régulièrement, attendre 30 minutes qu’un écoutant puisse décrocher, pour se retrouver éventuellement à 6 dans un bungalow de 25 m².

Le système machiavélique a néanmoins été construit et imposé, reposant sur l’impossibilité des professionnels à signaler toutes les personnes rencontrées à la rue. Quoi de mieux qu’une stratégie mensongère pour faire diminuer le chiffre des personnes en demande d’hébergement ? Comment signaler la situation de 3000 personnes lorsque le temps imparti ne permet d’échanger qu’avec une vingtaine d’entre eux ? Comment deux à trois équipages de Samu Social, dédiés à l’ensemble du département du Rhône, sont-ils en mesure de rencontrer l’ensemble des personnes à la rue ? Surtout, pourquoi demander à des professionnels de dédier du temps à ce repérage des « avérées à la rue » lorsque les situations sont déjà connues du 115 dont le rôle est justement de recenser, et lorsque l’on sait cette tâche parfaitement impossible ?

La réponse est simple… justement parce que la tâche est impossible… et que, par là même, le chiffre des personnes « véritablement à la rue » sera automatiquement inférieur à celui du 115…

Ainsi, les 750 places du renfort hivernal ont été proposées à ces personnes réputées « véritablement à la rue », signalées par les professionnels. Début janvier, plus de 2000 personnes attendaient encore une solution auprès du 115. Le Préfet affichait une liste de « seulement » 200 personnes « véritablement à la rue ». Au national, déjà ce chiffre avancé de 200 n’a pas plu car mettait à mal la promesse du Président de la République. Remontée de bretelles du Préfet. 200 places supplémentaires ouvrent alors en urgence … bien vite remplies… pour atteindre un affichage de « zéro sans solution »… et le machiavélisme saute désormais d’un cran.

Aujourd’hui, la liste des « véritablement à la rue » exclut les personnes seules (elles sont plus de 700 à solliciter le 115). Seules les familles comptent. Les familles vivant en campement (soit plusieurs tentes) sont aussi écartées de la liste. Etre un enfant sous une tente est moins difficile lorsqu’il y a d’autres tentes à côté, tout le monde le sait ! Enfin, outre les 200 places supplémentaires déjà occupées, s’est ouverte ce week-end une « halte famille ». Il s’agit d’une salle comprenant 60 lits de camps qui est proposée pour 7 jours. Alors que cela devrait être son rôle, le 115 ne peut orienter sur ces places, car il ne peut attester des conditions de rue avérée. Ainsi ce sont les équipes mobiles qui se sont vues attribuer ce rôle pourtant loin de leurs missions. Pour parfaire l’hypocrisie, une famille qui refuserait la place temporaire par crainte de perdre son lieu d’installation de rue sera rayé de la liste des personnes « véritablement à la rue ». Une famille qui acceptera cette solution et sera ensuite remise à la rue sera aussi effacée de la liste car une solution aura été proposée. Il fallait y penser !

Professionnels de l’urgence sociale, nous sommes aujourd’hui pris au piège d’un système organisé pour cacher la réalité, au détriment des personnes à la rue, victimes de la ruse d’un Etat défaillant. (...)

Fermer les yeux sur ce scandale engage nos responsabilités individuelles et collectives. Nous ne pouvons plus y consentir et envisageons la saisine du défenseur des droits.