
De quoi aura l’air notre avenir ?
Yoshua Bengio nous prévient dès le départ : on sera peut-être déçu de sa réponse. « Je n’ai pas de boule de cristal », dit-il.
Si on veut tant lui parler d’avenir et de développement technologique, ce n’est pas parce qu’on le soupçonne de posséder une boule de cristal. C’est parce que le scientifique québécois est l’un des experts les plus réputés dans le monde en intelligence artificielle, qui va sans doute – correction : qui va – révolutionner nos vies. Ses travaux sur l’apprentissage profond lui ont valu le prix Turing (le « prix Nobel de l’informatique ») en 2018.
« Tout scientifique sérieux devrait vous dire la même chose : que l’avenir est incertain. C’est très difficile de dire ce qui va arriver, car ça dépend de nous collectivement. Dans quelle direction on décide d’investir, quelles normes sociales on se donne », dit Yoshua Bengio.
(...) Trois choses vous frappent immédiatement quand vous discutez avec Yoshua Bengio. Son intelligence. Sa rigueur. Son humilité. (...)
En tout cas, le futur n’aura pas l’air d’un film de science-fiction hollywoodien où les humains doivent se battre pour survivre contre des robots intelligents, pense-t-il. « Ces films-là sont souvent exagérés. » (...)
Les récentes prouesses de ChatGPT, un robot conversationnel avec une précision étonnante, vous impressionnent ? Vous n’avez encore rien vu, prévient Yoshua Bengio. « Il y a des raisonnements qu’un enfant de 4 ans peut faire et où ChatGPT se fourvoie », dit-il.
Un jour, Yoshua Bengio en est convaincu, on créera un robot plus performant qu’un cerveau humain. Un robot qui apprendra comme un enfant – une vieille théorie du mathématicien britannique Alan Turing.
« Il n’y a pas de raison scientifique pour laquelle on n’arriverait pas à comprendre d’où émerge notre intelligence avec notre cerveau, et donc à construire des machines au moins aussi capables que le cerveau humain. Ça pourrait prendre 10 ans ou 100 ans. On est comme des alpinistes qui gravissent une montagne sans carte. On avance, on progresse, mais on ne sait jamais quels seront les prochains obstacles. »
La possibilité que les robots soient plus intelligents que les humains vous donne la frousse ? Vous êtes normal. Yoshua Bengio craint aussi les effets néfastes de l’intelligence artificielle.
« Mon cauchemar, c’est que ça devienne de plus en plus facile pour une personne vraiment capotée qui aurait du pouvoir, comme Vladimir Poutine, d’utiliser la technologie d’une façon très destructrice pour l’humanité. Plus nos outils sont puissants, plus cette possibilité augmente. Notre système économique, social et politique n’a pas été pensé pour ça. »
Ce serait aussi une erreur de « jouer à Frankenstein ». « On ne veut pas que les ordinateurs doivent choisir entre leur survie et la nôtre. On peut construire des machines dont l’objectif serait de nous servir, et elles seraient heureuses de ça. C’est plus safe. » (...)
Voilà pourquoi il milite pour une intelligence artificielle éthique et réglementée par le principe de précaution. Il a d’ailleurs contribué à l’adoption de la Déclaration de Montréal pour une intelligence artificielle responsable (...)
Bien encadrée, l’intelligence artificielle pourrait mener à des avancées incroyables dans beaucoup de domaines. Entre autres en médecine, un domaine où Yoshua Bengio fait beaucoup de ses recherches. (...)
Le lauréat du prix Turing a aussi d’autres intérêts. Un sujet qui le préoccupe énormément : les changements climatiques. « C’est un défi quasiment existentiel pour l’humanité », dit Yoshua Bengio.
Depuis la pandémie, il n’a pas pris l’avion, donne ses conférences en mode virtuel, et s’inquiète de notre lenteur à répondre à l’urgence climatique (...)
Pour les changements climatiques comme pour l’intelligence artificielle, la société ne pourra faire autrement que de s’adapter, croit-il. « On a quelque chose en nous pour trouver des solutions. Je suis fondamentalement optimiste. Mais pas avec des lunettes roses. » (...)