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Reporterre
Voici comment la grande distribution écrase l’agriculture en France
Article mis en ligne le 6 mars 2016
dernière modification le 3 mars 2016

Intimidations, comportements abusifs, pratiques illégales… les quatre centrales d’achat de la grande distribution profitent d’un rapport de force disproportionné dans leurs négociations avec les producteurs. La guerre des prix fait rage et les paysans se noient.

Les négociations commerciales entre la grande distribution et ses fournisseurs se sont achevées lundi 29 février, à minuit. Mardi matin, concernant le prix du lait, le ministre de l’Agriculture, Stéphane Le Foll, a apprécié au micro de Europe 1 que « les engagements qui avaient été demandés par le gouvernement à la grande distribution [et] aux industriels de stopper la course à la baisse des prix a été, semble-t-il, un engagement qui a été tenu ».

Faux, rétorque le président de l’Association nationale des industries alimentaires (Ania), Jean-Philippe Girard, pour qui ces négociations ont été « pires qu’en 2015 » avec « des demandes de baisse, jusqu’à moins 6 %, à minuit moins cinq et une inflation des demandes de promotions, qui ont doublé en un an ». « Aucune des grandes promesses de l’automne dernier faites par les patrons d’enseigne de la grande distribution n’a été tenue », affirme-t-il.
Un entretien « d’une heure à deux minutes »

Ces négociations, commencées en octobre dernier, se sont déroulées dans un climat extrêmement tendu. Des éleveurs des filières laitière, bovine et porcine manifestent depuis plusieurs semaines pour protester contre la faiblesse des prix du lait et de la viande. (...)

Comment se déroulent ces négociations commerciales annuelles ? Encadrées par la loi de modernisation de l’économie (LME) du 4 août 2008, elles débutent au mois d’octobre pour s’achever le dernier jour de février, à minuit. Les agriculteurs n’y prennent pas part : seuls négocient les intermédiaires, coopératives, abattoirs et industrie agroalimentaire. « Le fournisseur envoie les prix de vente de ses produits au distributeur, explique-t-on à l’Ania. Ces tarifs prennent en compte le coût des matières premières, les coûts de structure, les salaires et les marges. » Le fournisseur est ensuite convoqué par la centrale d’achat. Dans des box prévus à cet effet, il défend son produit et cherche à en obtenir le meilleur prix – ou plutôt le moins bas. La durée de l’entretien peut aller « d’une heure à deux minutes », selon l’Ania. (...)

Problème, le rapport de force est « défavorable, si ce n’est complètement disproportionné », pointe Olivier Mevel, maître de conférences en sciences de gestion à l’université de Brest et consultant pour les entreprises agroalimentaires. Quatre super-centrales d’achat (Intermarché/groupe Casino, Carrefour/Dia, Auchan/Système U et E. Leclerc) détiennent 90 % du marché. (...)

Face à eux, les 570.000 agriculteurs, 2.800 coopératives agricoles et 40.000 PME de l’agroalimentaire, atomisés et dispersés, ne font pas le poids. »

Ce déséquilibre se retrouve dans les box de négociations. « Un fournisseur, même le plus gros, ne représente que 1 ou 2 % du chiffre d’affaires du distributeur. Alors que ce dernier représente souvent de 20 à 40 % du chiffre d’affaires du fournisseur », souligne-t-on à l’Ania. La pression psychologique exercée par les acheteurs de la grande distribution est intense. « Le fournisseur vient souvent de province et il est convoqué à une heure précise. Mais le négociant de la centrale d’achat peut le faire patienter trois, quatre voire cinq heures avant d’expédier la discussion en deux minutes », rapporte l’association.
« Il faut payer pour tout »

Au-delà de ces manœuvres d’intimidation, les centrales d’achat adoptent parfois des comportements abusifs, accuse l’Ania : « Une enseigne peut vous menacer de déréférencer brutalement votre produit, de ne plus le mettre en rayon pendant la durée des négociations, sans préavis. C’est illégal, mais en cas de contrôle elle invoque des problèmes logistiques. » Ou encore : « avant de négocier le prix, elle peut réclamer une remise, un montant que le fournisseur doit verser avant même de commencer à négocier », ce qui n’est pas légal non plus. (...)

Contactés par Reporterre, la Fédération du commerce et de la distribution, les Mousquetaires, le groupe Casino, Carrefour et Leclerc n’ont pas donné suite à nos questions. (...)

Comment remédier à cette situation ? Pour parer au plus pressé, l’Ania a mis en place en octobre 2015 un Observatoire des négociations commerciales, qui permet aux fournisseurs de signaler de manière anonyme le comportement abusif d’un distributeur. Quand plusieurs plaintes concernant la même enseigne et la même pratique sont rassemblées, l’Ania envoie un courrier au distributeur concerné. « Nous avons déjà envoyé une petite dizaine de courriers, précise-t-on à l’Ania. Pour l’instant, tout le monde a répondu de manière plus ou moins ouverte. »

La DGCCRF a par ailleurs renforcé ses contrôles. (...)

Quant aux agriculteurs, ils continuent vaille que vaille à défendre leurs intérêts. (...)

Tous les troisièmes week-ends d’août, Raymond Girardi, agriculteur dans le Lot-et-Garonne et secrétaire général du Mouvement de défense des exploitants familiaux (Modef), organise avec ses collègues une vente de fruits et légumes place de la Bastille à Paris. Objectif, sensibiliser les passants au « juste prix ». « L’an dernier, nous vendions le kilo de tomates 1,50 euro : 80 centimes pour le producteur, 20 centimes de conditionnement et 50 centimes de marge pour la grande distribution, explique M. Girardi. A cette même période, la grande distribution nous achetait le kilo de tomates à 40 ou 50 centimes, et les prix en magasin se situaient entre 2 et 2,50 euros ». (...)

les circuits courts se révèlent un bon moyen pour les agriculteurs d’améliorer leurs revenus. « Depuis mon installation en 1974, j’ai toujours vendu une grande partie de mes asperges en direct, raconte le syndicaliste. J’ai des collègues qui ont monté leur magasin de producteurs à Mont-de-Marsan : depuis sept ou huit ans qu’ils ont commencé, ils gagnent correctement leur vie et revivent ! » (...)

Le développement des circuits courts pourrait mettre la grande distribution sous pression : « Si les consommateurs et les producteurs expérimentent ce système qui permet aux agriculteurs de vivre dignement, cela va ternir son image et l’obligerait à mieux payer les agriculteurs. »

M. Grégoire, lui, a décidé de convertir sa ferme à l’agriculture biologique. « Cela va me permettre de vendre mon lait plus cher, 40 à 43 centimes le litre au lieu de 28 à 32 en agriculture conventionnelle », espère-t-il. Avec une crainte : « Pour l’instant, l’acheteur numéro 1 français est Biolait, une laiterie coopérative montée par des agriculteurs très courageux. Mais si les groupes type Lactalis mettent la main sur ce marché, ils appliqueront les mêmes recettes : produire du volume, le vendre moins cher et l’exporter en Chine. » (...)