
Ce texte raconte et réunit les récentes étapes d’écriture, de réflexion, de prise de parole, de l’une d’entre nous.
Le 5 novembre 2019, je découvre le témoignage d’Adèle Haenel, ainsi que l’enquête réalisée par Marine Turchi sur Mediapart. Je suis suspendue à ces mots, écrits comme prononcés, le temps s’arrête, je sens qu’il se passe quelque chose d’important en moi. Je décide alors de tout interrompre pour reprendre un texte jusqu’ici inachevé. Je le retravaille, puis, je l’envoie à des membres de ma famille, ainsi qu’à mes amis les plus proches. (...)
Cinq jours plus tard, le 10 novembre, je décide de publier ce texte sur mon compte Facebook, permettant ainsi à tout mon entourage (amical, social, professionnel) d’en prendre connaissance aussi. Le voici : (...)
Aujourd’hui, je souhaite aller au bout de l’écriture de ce texte et le publier. Ce n’est évidemment pas évident, du tout.
Ce texte, j’ai commencé à le rédiger « pour moi », suite à une séance de thérapie où beaucoup de choses sont « remontées », ont été formulées, ont bougé en moi. Et aujourd’hui, précisément quelques jours après la découverte du témoignage puissamment précieux d’Adèle Haenel, le rendre public est ma manière à moi de tenter d’accepter l’existence de ces actes, et de les expulser, ou de les transformer - de me forcer à changer la honte de camp.
Le voici, brut :
Si je t’avais en face de moi, j’aimerais te dire que tu n’aurais pas dû presser ma poitrine d’adolescente contre ton torse adulte. Ce message je l’adresse à J., le mari de ma tante. J’avais 13, 14, 15 ans, et tu n’aurais pas dû me caresser le bas du ventre quand on regardait des films sur le canapé, ou dans votre lit. Tu n’aurais pas dû poser ton regard sur mon corps comme si c’était un objet, me faire croire que c’était normal, et drôle, de me faire des blagues de cul ; tu n’aurais pas dû me faire culpabiliser de te dire « Non » certaines fois où je refusais de te masser les pieds (...) ..............
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Fin de ce texte-ci, « à vif » donc. Je ne parlerai pas en leur nom, mais ce type d’événements est malheureusement arrivé à tant de personnes autour de moi. Ces choses arrivent, se répètent, et nous n’osons pas en parler. Et une fois la parole ouverte, les récits abondent – parfois, ils sont très violents. Mais là plupart du temps, ils restent entre nous. Chuchotés, dans l’ombre.
Alors aujourd’hui je rajoute mon témoignage aux nombreux précédents. Pour un peu moins de silence.
Si j’anonymise le nom de ces agresseurs-là, ce n’est pas pour les protéger, mais parce qu’il ne me semble pas utile de les mentionner ici pour faire avancer les choses. Je réfléchirai, une fois ce premier cri digéré, aux manières complémentaires d’agir. Avec ce post aujourd’hui, ce que je souhaite est oser dire, vomir ce qui est à vomir, oser enfin ressentir et crier la violence.
Adele Haenel, elle, a plus de recul dans son témoignage - il y a de l’espoir dans sa vibration, de la sagesse dans ses mots. Sûrement que je n’en suis encore pas là, parce qu’aujourd’hui c’est la colère qui parle, parce que putain de merde c’est fou le temps que ça prend, et le mal que ça fait, d’ouvrir les yeux sur ça. Et une fois que c’est là, c’est là, là aussi, là et là.
Surtout, c’est fou le temps que ça prend de se « soigner ». Toujours cette question en moi : comment est-ce qu’on sort de ça une fois qu’on a commencé, et accepté, de regarder tout ce qui a été abimé en nous ?
Je ne sais pas.
Ce que je sais, c’est qu’il m’est aujourd’hui impossible de garder les yeux fermés, et que je vois un petit peu mieux.
Et ce que j’espère, c’est qu’on va toutes et tous progressivement aller mieux.
Ici, j’appelle au respect, à l’intégrité, et à la dignité." (...)
Sept jours plus tard, le 17 novembre, je décide d’écrire à Mediapart pour les remercier, leur dire que leur travail, couplé au courage et à l’engagement d’Adèle Haenel, avait un impact concret sur nos vies - que dans mon cas, la parole s’est ouverte depuis dans ma famille, dans mon cercle d’amis, que les choses bougent, que c’est "l’effet boule de neige". (...)
Hier, nous étions le 23 novembre. Nous étions plusieurs dizaines de milliers partout en France à répondre présents à la marche contre les violences sexistes et sexuelles. C’était bouleversant. Plus tard dans la journée, j’ai vu des membres de ma famille, nous avons parlé soigneusement de ces thèmes au sein-même de notre famille. C’était tout aussi bouleversant.
Alors aujourd’hui, je mets ces mots ici pour raconter cette valse à mille temps, entre des pas en avant, d’autres en arrière, la confusion des émotions, la colère, l’immense colère, la honte, l’apaisement, le cri, le calme, la peur, la confiance, les nuances, la radicalité, le doute, l’espoir, la force, la faiblesse, l’amour de la vie. Pour dire que malgré tout, chacun de nos pas, dans leur mouvement comme dans leur immobilité, a de la valeur, et doit avoir a le droit d’exister.
Il y a des jours où l’on est pas prêts à avancer, et d’autres où on l’est. Et sentir qu’on est ensemble, liés, se le montrer, c’est ce qui prépare le terrain pour nous permettre d’avancer.