
Accusée de secte, de fausse science, la psychanalyse essuie de violentes polémiques. La profession monte au créneau, portée par le Pr Pascal-Henri Keller. Rencontre.
C’est assez rare pour être souligné. Un mois plus tôt, une tribune parue dans le journal Libération réunissait les signatures de 17 associations et écoles de psychanalyse (1) dans une posture collective afin de défendre la nature même de la discipline. A l’heure du tout « fake », le professeur émérite de l’université de Poitiers, Pascal-Henri Keller, défend un métier centenaire, partie prenante de la vie sociale, professionnelle et privée de ses contemporains. (...)
Comment percevez-vous la psychanalyse ?
« Une approche scientifique et rigoureuse de la vie psychique humaine. Freud a de suite décelé une seconde conscience – l’inconscient – chez l’être humain. On en connaît les effets : nos rêves, nos lapsus, nos pulsions, etc. Le psychanalyste est alors celui qui prend la parole au sérieux, qui permet aux patients de s’écouter parler. Longtemps, des approches similaires étaient réservées à la religion et parfois à la magie. Ce qui conférait à l’interprétation des paroles un caractère soit sublimé par une vue élevée de l’esprit, soit péjoratif. Il fallait un champ d’étude pour l’approcher. »
Certains la considèrent pourtant comme une mystification…
« On sous-estime le pouvoir de la parole dans une vie humaine. Elle doit être prise dans toute sa complexité car c’est l’acte fondateur de l’existence. Nous naissons avec un acte parlé, un nom, avec lequel nous commençons déjà à nous construire. Dès lors, elle constitue l’intégralité du rapport aux autres. Que font les Gilets jaunes, si ce n’est prendre la parole sur les ronds-points pour inventer une autre société ? La méfiance envers la psychanalyse vient du fait qu’il est décevant de se rendre compte que nous sommes seulement des êtres parlants et non des êtres de performances. Une médaille d’or ne nous dit rien d’une existence. » (...)
Nous traversons une période de violence, d’incertitude, où les gens n’arrivent plus à se parler. Est-elle encore compatible avec votre discipline ?
« Elle l’est d’autant plus que la parole est de nos jours disqualifiée. L’être humain n’est plus perçu que par les chiffres et les statistiques. Nous faisons nos courses et n’avons plus affaire à la caissière pour payer. Au moment de l’orientation, nos lycéens n’ont plus que des cases à remplir sur un logiciel. Nos hôpitaux sont davantage soumis au règne de la rentabilité que de l’écoute. On entend des formules comme « gérer son stress » ou « identifier des compétences » dans lesquelles on bannit la parole qui pourtant nous donne une raison d’exister. Face à ces gestions managériales de nos vies, les individus ne s’en sortent pas. Ils se retrouvent par ailleurs, sur les réseaux sociaux, dans un besoin de parler. A minima, c’est une bonne chose, mais il faut voir aussi à quel point la parole y est dévoyée. » (...)