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Victimes du pouvoir. Hommage aux petites gens de Mayotte
/Daniel Gros Retraité de l’Education nationale
Article mis en ligne le 24 octobre 2021

Comment faire un portrait de femme, avec enfants, et compagnon, sans les exposer ? Les habitantes du quartier condamné à la démolition prochaine ont souhaité se mettre en scène devant leur maison le visage dissimulé sous un kishali (châle traditionnel) et les hommes et enfants tournant le dos à l’appareil. Ainsi ressentent-elles, et ressentent-ils, leurs conditions sur le territoire français où aucun droit ne leur est consenti. Où tous les abus et dénis de droit leur sont retournés. Menaces sur le trajet de l’école, du dispensaire, de la pharmacie, du travail, de la petite échoppe. La nationalité ne donne pas de privilège face au harcèlement policier des petites gens de Mayotte.

La lutte contre l’habitat illégal est une fumisterie. N’est illégale que la conduite de l’État. Pour preuve : la dame à l’enfant, debout dressée en madone, s’est installée sur le terrain Chamassi en 2016 après avoir été chassée par les milices villageoises des villages du Sud sous la protection vigilante des forces de police. Le propriétaire avait alors mis son terrain à disposition des familles sinistrées bravant la réprobation publique. Bien que le rapport de gendarmerie prétende que des particuliers « ont signé l’attestation demandant l’intervention des services de l’État pour démolir les constructions » installées « sur des parcelles occupées illégalement", il est facile d’imaginer ce qu’il a fallu d’intimidations et de menaces pour obtenir ces signatures. Le fait d’occupation illégale est démenti par la mention de l’adresse du propriétaire sur certaines cartes de séjour. Bien sûr rien n’est jamais offert sans contrepartie. (...)

Le terme de "décasage" employé ici et là confirme le lien entre les exactions villageoises contre les populations comoriennes de 2016 et les opérations actuelles sous couvert de la Loi ELAN. (...)

Le pouvoir, à travers des lois cousues de fil blanc et des consignes données à ses préfets, a décidé de prendre le relais de la xénophobie ambiante. A présent il assume seul l’œuvre de bassesse engagée par les activistes les plus extrémistes de la population. (...)

L’invitation du député Kamardine à intensifier les "décasages" trahit des obsessions qui débouchent toujours sur des politiques imbéciles. (...)

dans les temps obscurs où l’État manque à ses devoirs les plus élémentaires, l’histoire nous apprend que des groupuscules peuvent attenter à leurs propres intérêts pour désigner et châtier les populations qu’ils ont prises pour cibles. L’hypothèse de semblables machinations prend alors du crédit. (...)

Le Pouvoir a montré sa capacité à relayer des accusations sans fondement et à instiller la peur chez les habitants. Le rapport de gendarmerie annexé à l’arrêté de démolition des deux quartiers de Mramadoudou fait de ces lieux des repaires de délinquants et de voyous. (...)

Sur la cinquantaine de familles résidant dans le quartier de Mramadoudou, une quinzaine seulement n’a ni décampé ni démonté sa maison. Aucune n’oppose de résistance au sort qui lui est promis. Loin de là. La plupart, sauf exception, sont des mères célibataires, ce qui signifie en langue locale que les pères refusent d’assumer leur responsabilité. Elles sont donc totalement prises au dépourvu par cette opération qui les saisit sur place. Faire face à cette urgence demande des ressources dont elles ne disposent pas : veiller sur les enfants, les nourrir, suivre leur scolarité, assurer quelques heures de ménage par jour pour disposer d’un minimum de liquidité monétaire, voilà qui remplit la journée. Sans reste. (...)

Dans un état de précarité extrème, le moindre bouleversement atteint gravement les familles. Et l’État n’est pas avare en tracasseries (...)

Il n’y a rien à voir sur ce quartier et personne ne se déplacera. Jeudi matin le 21 octobre, la Croix-Rouge de Mayotte organisait une petite fête pour l’inauguration de la borne fontaine monétique installée dans le quartier au mois d’août. Aucun des bénévoles, ni la responsable qui les encadrait, n’avaient connaissance du destin administratif du quartier : sa liquidation ! (...)

l’avenir des populations délogées n’est un sujet pour personne. La Croix-Rouge se veut rassurante : les familles pourront utiliser leur carte magnétique dans n’importe quelle borne fontaine de l’île. (...)

La préfecture envoie ses agents effectuer des repérages, marquer les tôles des logements d’un numéro à la bombe fluo jaune. Sans adresser le moindre regard à la population figée dans sa détresse. Il vaut mieux pour eux détourner les yeux gênés et continuer l’indigne besogne. Des psychothérapeutes soigneront les blessures narcissiques le moment venu des cauchemars. Les préparatifs des démolitions n’incluent pas le sort des habitants : personne n’a encore reçu la moindre assurance d’un relogement prochain, un mois après l’affichage de l’arrêté préfectoral. (...)

l’hébergement d’urgence est envisageable pour une période de 21 jours maximum. Ensuite vous dégagez. Vous ne pouvez pas apporter vos affaires. Vous serez logées où il y a de la place dans l’île. De toute façon, que les étrangers en situation régulière munis d’un titre annuel ou pluriannuel cessent de rêver : ils n’ont tout bonnement aucun droit à une relogement durable. (...)

Sur le terrain Chamassi dans le village de Mramadoudou, les rapports avec le propriétaire variaient selon le statut de l’habitant. L’arrangement de départ faisait office de contrat d’installation et n’était pas négociable. Les plus anciens sur le terrain construisirent deux logements, un pour leur usage privé qu’ils occupaient librement, le second au bénéfice du propriétaire. Celui-ci tirait alors un loyer mensuel de 50 € sur la moitié des logements disponibles sans avoir investi le moindre sou dans l’affaire. Les habitants-bâtisseurs entretiennent avec le propriétaire du terrain des relations d’invité à titre gratuit, leur dette envers lui ayant été apurée par avance avec la construction du second logement. Les locataires de ces logements voient le propriétaire d’un autre œil puisque les relations se durcissent lors de l’exigence d’un loyer parfois difficile à régler. (...)

Les destins parfois semblent s’acharner sur leur proie. (...)

Puisqu’il le faut, tout le monde s’organise pour déguerpir et débarrasser le plancher. C’est le cas de le dire puisque toutes les maisons seront dépecées les unes après les autres, les tôles soigneusement déclouées des chevrons ou des bois qui les maintiennent, tous les meubles dignes de récupération emportés. Mais démontage de la maison n’implique pas un remontage ailleurs : "Ce n’est pas parce que les habitations ont été démontées que les gens ont trouvé un endroit où les reposer". En fait la première démarche consiste à chercher un petit coin dans une cour pour y entreposer tout ce qui permettra de limiter les dégâts. Ensuite il faudra trouver où se poser avec sa famille en préservant l’essentiel. Une longue reconstruction dans un avenir incertain puisque le pouvoir détruit sans donner aux habitants la possibilité d’une vie meilleure. (...)