
(...) La rémunération étudiante : une revendication ancienne dans les milieux militants
La question de la mise en place d’une rémunération étudiante est apparue très tôt dans les milieux militants universitaires. Tantôt nommée “présalaire”, “salaire étudiant”, “allocation d’autonomie”, “allocation d’études”, elle a figuré de manière omniprésente dans les débats concernant la valorisation du statut d’étudiant. A l’après-guerre, les discussions autour de cette rémunération du travail étudiant se sont cristallisées lors d’un congrès de l’UNEF, en 1946, où a été réalisée la charte de Grenoble revendiquant cet adage : “un étudiant est un jeune travailleur intellectuel”, présentant alors le salariat comme un droit pour l’étudiant. Il s’agissait ainsi pour l’UNEF de conduire à la reconnaissance de l’étudiant·e comme travailleur·se, de faire reconnaître l’existence d’une population étudiante nombreuse et qualifiée, et de valoriser ce qu’elle apporte à la société. (...)
Si les milieux associatifs et militants étudiants français ont hérité de la charte de Grenoble et continuent de revendiquer le besoin d’une rémunération étudiante, la question est tout de même largement sortie des syndicats dès les années 2000, donnant lieu à la rédaction de nombreux rapports. Citons notamment les rapports du Commissariat général du plan « Jeunesse, le devoir d’avenir », résultat d’une commission qui a eu lieu en 2001 et présidée par Dominique Charvet, ou encore le rapport de 2007 sur « Les dotations en capital pour les jeunes » du Centre d’analyse stratégique et tout une série d’autres rapports. Si la réapparition de cette question dans les débats publics a conduit à des critiques de la part de ses détracteur·trices, elle est pourtant soutenue par des chercheur·ses reconnu·es comme l’économiste Thomas Piketty dans son dernier ouvrage Capital et Idéologies ou le sociologue Camille Peugny dans Le Destin au berceau, ce qui peut ainsi témoigner de la pertinence d’une telle proposition.
Comment expliquer, alors, l’échec de la requalification du statut d’étudiant·e en France ? En effet, la requalification de l’étudiant·e en salarié·e n’a pas fonctionné car elle s’est heurtée aux définitions communément admises du salariat. En effet, la rémunération d’un·e salarié·e étant appuyée sur un certain nombre de conditions (contrat et lien de subordination, force de travail, condition de productivité…), elle n’a pas pu être adaptée au statut étudiant. En tentant de faire reconnaître le rôle d’un statut à venir, cela a conduit à conditionner le salariat étudiant à l’état du marché de l’emploi, favorisant ainsi les grandes écoles (les étudiant·es des ENS sont ainsi rémunéré·es ou pré-embauché·es par l’État, sous le statut de fonctionnaire stagiaire). Cela renforce la bipolarité du système français entre les grandes écoles et les universités, qui segmentent et remettent en cause une possible égalité des chances entre les étudiant·es. De plus, en France, la tradition fait que les étudiant·es sont perçu·es comme auto-finançant leurs formations. L’étudiant·e investit pour son avenir lorsqu’il ou elle choisit de faire des études. Il ou elle est en train d’investir et non de fournir un travail. Iel se remboursera donc lui-même lorsqu’iel entrera sur le marché de l’emploi : on retrouve ici la théorie néolibérale du « capital humain ». (...)
Une utopie budgétaire ?
La rémunération du travail étudiant est souvent discréditée par ses opposant·es qui la décrivent comme une utopie budgétaire car elle coûterait trop d’argent à l’État et n’apporterait rien de bon. Pourtant ce salaire universel existe déjà dans quelques pays avec des résultats très positifs. C’est par exemple le cas du Danemark (...)
Un jeune étudiant français ayant fait le choix d’étudier au Danemark témoignait pour le journal Le Monde en disant : “gagner plus d’un SMIC en étant étudiant est une chose commune”.
En Norvège, il existe une autre forme de salariat étudiant qui correspond davantage à ce que l’on pourrait apparenter à un prêt mais qui est bien plus intéressant que ce que nous connaissons en France. (...)
l’argent alloué à ses étudiant·es reviendrait inlassablement aux mains de l’État puisque 20% de cet argent sera prélevé par la TVA à chacun de leurs achats. En outre, dans la mesure où les frais d’inscription dans l’enseignement supérieur sont davantage dans une tendance à la hausse ces dernières années, comme nous pouvons le constater avec des projets de réforme comme la LPPR ou l’augmentation des frais pour les étudiant·es étrangèr·es, il semble bien que cet argent serait immédiatement reversé à l’État. Mais sous ces critiques de premier abord se cachent une réalité du système français qui n’est pas enclin à mettre en place une telle mesure.