
L’expulsion du bidonville de Wilson était prévue depuis le mois de Mai 2016, à la suite d’un arrêté pris par Monsieur le maire PCF de Saint-Denis, Didier Paillard, pour des raisons d’hygiène et de sécurité. Rappelons qu’à la date de l’arrêté, le bidonville existait depuis un an et demi environ sans que la Mairie ait pris le soin de recenser les personnes présentes ou de chercher à résoudre les problématiques qu’elle soulève, comme le montre l’extrait suivant, tiré de l’arrêté :
Considérant qu’aucune autre solution technique ou humaine, ne pourrait permettre de remédier à cette situation de dangerosité constituée par le fort potentiel d’incendie créé par la présence d’amas de déchets, de nombreux cabanons en bois construits à proximité les uns des autres et la vétusté des branchements électriques sauvages, et l’absence de tout moyen de lutte contre l’incendie... [1]
C’est dans le cadre de l’action du collectif École dans la rue, qui vise à la scolarisation des enfants vivant dans des conditions de grande précarité, que nous avons pu rapidement constater ces réticences.
Les habitants du bidonville dit « Wilson » se préparaient donc à une évacuation depuis plusieurs mois. Mais le jeu pervers de la préfecture est de menacer pendant longtemps et de ne jamais donner le jour exact. Ainsi, la police est passée plusieurs fois sur le bidonville pour prévenir d’une évacuation imminente, sans qu’il y ait de suite. Il s’agit pour les policiers de faire un aller-retour dans le bidonville, en disant aux quelques personnes qu’ils croisent de préparer leur affaires. Aussi, le jour où celle-ci a réellement lieu, personne n’est prêt, parce que personne ne peut être sur le qui-vive pendant quatre mois. Quel est donc l’intérêt de faire peser constamment une telle menace, si ce n’est de maintenir les habitants dans un état d’insécurité et de les empêcher d’obtenir un semblant de stabilité ? L’officier de police en charge de l’opération d’évacuation relève l’impréparation des personnes. C’est pourtant le même officier qui, passé sur le bidonville le jour d’avant, a avoué ce jour-là connaître la date précise de l’expulsion, mais ne pas être autorisé à la donner.
Nous sommes le Jeudi 4 août 2016, à 6h15 du matin. Nous observons, depuis un pont, une vingtaine de camions de CRS qui se dirigent vers le bidonville. Les personnes de la préfecture arrivent en même temps avec voiture de luxe et costumes cravates. (...)
Entre autres choses, voici ce qu’il nous a été donné d’entendre ce matin-là :
– Au sujet d’un enfant du bidonville : « Regarde-le, il a six ans et déjà une tête de délinquant ! »
– Un CRS à un autre : « Tu cherchais pas une maison ? - Ah non, les portes en contreplaqué, merci, c’est pas de la qualité ! »
– Ou encore : « Ils auraient pu faire un effort, il y a un tas de cartons là. Ils auraient pu les préparer avant ! »
– Un CRS essayant d’ouvrir une porte fermée à clef : « On pourrait prendre la tête du monsieur, elle est assez grosse pour faire un bélier ! »
Ensuite, les CRS réveillent par des insultes un homme de 70 ans, complètement désorienté, qui vit sur le terrain depuis 17 ans et ne comprend pas ce qu’il se passe. Ils le font sortir sans qu’il ait eu le temps de prendre ses affaires. (...)
Enfin, une mère de famille se rend compte, une fois dehors avec toutes ses affaires, qu’elle a oublié sa carte d’identité sur le terrain. Mais l’officier en chef ne l’autorise pas à aller la récupérer, alors même que l’évacuation a eu lieu en un temps record [2]. Face à un bénévole qui en appelle à l’indulgence des officiers de la loi, un CRS posté-là choisit ce moment pour affirmer qu’il « ne fait QUE des choses bien dans la journée ».
Même si on met provisoirement à part le fait que les policiers exécutent des ordres sans s’interroger sur leur bien-fondé, on ne peut que constater le manque de déontologie dont ils ont fait preuve ce matin-là. (...)
Quinze minutes après l’expulsion, nous entendons dans les talkies walkies : « Attention, on signale une dizaine de personnes évacuées du campement qui se dirigent vers la porte de Paris ». Il eut fallu qu’elles se soient évaporées !
Le lendemain matin, deux familles qui s’étaient réfugiées sur un autre terrain à Saint-Denis sont à nouveau sous la menace d’une expulsion. (...)
Finalement, l’officier en chef arrive sur les lieux avec pour objectif de procéder à l’évacuation du terrain, sur demande du propriétaire et avec autorisation du préfet. La décision du préfet est immédiate : il ne sent pas contraint de la motiver, de la justifier. C’est un pur acte administratif qui reconduit des gens à la rue. A ce moment-là, nous retrouvons l’officier qui avait dirigé les opérations de la veille. Après avoir sorti les personnes du terrain, il se sent obligé de se justifier auprès de nous : après trois ans d’étude, un concours exigeant, sa vocation d’aider les gens (en l’occurrence, son exemple concerne une « petite dame qui se fait arracher son collier ») peut bien justifier de faire un peu de mal, de mener une action qui « ne (lui) fait pas plaisir » mais qu’il n’a pas le choix d’exécuter. Et puis, selon lui, il a procédé aux évacuations sans violence, ramenant celle-ci à une violence purement physique et même au seul fait de porter des coups. Nous essayons de lui montrer le vice de ce raisonnement, mais c’est nous qui sommes accusés de ne pas avoir d’empathie pour la police ! C’est indécent. Une des personnes expulsées, entendant ces propos, n’en revient pas.
La mauvaise foi de tous les exécutants de ces expulsions est effarante. (...)