(...) Aujourd’hui, on glose doctement sur un François Hollande jugé, par contraste, normal (ou pas, ou moins qu’on ne le dit…). Or cette rupture affichée occulte des continuités inavouées. Et si le nouveau chef de l’État joue la normalité, n’est-on pas encouragé à trouver normale sa politique – même quand il se contente de reprendre les termes du régime précédent ? Le changement de forme légitime ainsi l’absence de changement sur le fond.
(...) C’est toute l’ambiguïté de la « normalisation » actuelle en matière de politique d’immigration. Retour à la normale, diront certains : nous voici débarrassés de la xénophobie d’État ostentatoire. Effectivement, le style n’est plus le même : on cesse de se vanter d’en faire toujours plus ; on revendique même d’avoir abandonné la politique du chiffre. Mais normalisation signifie aussi banalisation. L’immigration relève encore du ministère de l’Intérieur, et donc d’une opération de police – comme sous Nicolas Sarkozy, pourtant critiqué à l’époque par une gauche unanime. On préconise le « cas par cas », qu’on feint de croire nouveau ; néanmoins, sans craindre la contradiction, on conserve le même quota de régularisations annuelles. Sur le terrain, les associations ne s’y trompent pas : la machine à expulser va bon train. Le ton a évolué, le fond n’a pas bougé.
La « question rom » est le révélateur de cette sinistre normalisation. L’été 2012 ne fait-il pas écho à l’été 2010 ? Certes, nous n’avons pas eu droit cette année à un discours de Grenoble. Reste qu’une fois de plus, les Roms ont fait les frais d’une politique de communication, Manuel Valls refusant, à l’instar de ses prédécesseurs, tout « laisser-faire ». À nouveau, l’Union européenne a placé la France sous surveillance, par la voix de sa commissaire, Viviane Reding : « L’Europe ne dort pas, elle ne prend pas de vacances. Elle reste très vigilante. » Certes, le gouvernement s’est engagé à « assouplir » sa position ; pour autant, il ne veut pas renoncer à sa « fermeté ». On a d’ailleurs pu le vérifier sans tarder, à Évry et ailleurs. Mais pourquoi ne pas supprimer dès à présent les mesures transitoires, comme il faudra bien le faire d’ici fin 2013 ? N’est-ce pas entretenir, le plus longtemps possible, le « problème Rom » ? Mais alors, que fera-t-on après ? (...)
il faut s’entendre sur les mots, pour dissiper une autre ambiguïté. Qu’entend-on par « problème » ? Distinguons : le chômage ou la délinquance constituent bien des problèmes ; en revanche, l’École ou le logement ont des problèmes – ce n’en sont pas. Pour l’immigration, il y a bien sûr des problèmes ; mais en est-elle un pour autant ? (...)