
Dilnur Reyhan, présidente de l’Institut ouïghour d’Europe (Iode) est visée par une plainte de l’ambassade de Chine à Paris. Mais c’est surtout l’attitude de la police française qu’elle dénonce.
Plusieurs jours après sa convocation à la brigade de recherches d’Évry-Courcouronnes (91), Dilnur Reyhan ne cache pas son émotion. La présidente de l’Institut ouïghour d’Europe (Iode) est habituée aux intimidations de Pékin, qu’elles proviennent directement de Chine ou des trolls pro-Xi Jinping. Cette fois-ci, c’est l’ambassade de Chine à Paris qui porte plainte contre elle. Mais c’est surtout l’attitude de la police française qui choque la professeure à l’Inalco (Institut national des langues et des civilisations orientales.) (...)
Le 12 décembre, je reçois un e-mail d’un officier de police judiciaire sur mon adresse personnelle. Il m’indique que je suis visée par une enquête et que je dois le rappeler. Je suis ainsi convoquée, dès le lendemain, alors qu’à l’Inalco nous sommes en pleine période de partiels.
Le rendez-vous sera finalement reporté au 12 janvier. Le policier me précise que je peux être accompagnée d’un avocat et, après que je lui ai demandé l’objet de l’enquête, il me répond : « L’Ambassade de Chine a porté plainte contre vous. Ça concerne ce qui s’est passé à la Fête de l’Humanité. »
Retour en arrière. Fête de l’Huma, édition 2022. Les organisateurs ont invité l’ambassade de Chine. Elle a un stand où elle déverse sa propagande. En réaction, nous lançons une campagne d’indignation sur les réseaux sociaux. Nous interpellons les politiques de gauche qui se rendent à la Fête. Vont-ils faire comme si de rien n’était, alors que la France a reconnu le génocide en cours mené par la Chine contre la nation ouïghoure ?
Le 10 septembre, les élus écologistes organisent une manifestation express devant le stand de l’ambassade. Un twittos m’a soufflé l’idée d’une action symbolique : arroser de peinture rouge l’emplacement de l’ambassade. Je décide de partir sur place avec Gulbahar Jalilova, une Ouïghoure du Kazakhstan rescapée des camps d’internement en région ouïghoure, et un ami qui nous y conduit, pour rejoindre d’autres activistes venus manifester.
La Chine est en train de mener un génocide contre tout un peuple, mais c’est moi, Ouïghoure, que l’on accuse de racisme. (...)
Ce qui me met le plus en colère, ce n’est pas l’attitude de l’ambassade. Elle joue son rôle : intimider, par n’importe quel moyen. Non, ce qui me met en rage, c’est bien plus le comportement de la police française, qui prend le temps de me convoquer, de chercher mon e-mail personnel et de vouloir faire passer mon activisme pour un crime. Moi, chercheuse activiste ouïghoure, sans nouvelles de ma famille depuis quatre ans, accusée de racisme ? J’ai l’impression d’avoir un policier chinois en face de moi. (...)
La Chine aura réussi son coup. En m’humiliant, elle livre un message clair : « Prenez garde, car la police française ne va pas vous protéger, même lorsque vous êtes français. » Faire peur aux militants en exil, la Chine l’a toujours fait. Mais il s’agit là d’une tout autre méthode : utiliser les lois de la démocratie pour réprimer les citoyens qui luttent en faveur des droits humains.
Car seulement deux jours après ma convocation, un jeune activiste français du groupe local Metz for Uyghurs a également été convoqué par la police pour une plainte en diffamation de l’Institut Confucius, après avoir qualifié de « propagandistes » ces établissements accusés d’espionnage dans de nombreux pays. Ces affaires sont loin d’être anecdotiques. En étant complaisante avec Pékin, la police française participe au recul de la démocratie