
Des parents et des enseignants d’une école de Bagneux dénoncent la directrice, qu’ils accusent de « violences éducatives » et de « racisme » à l’encontre d’enfants dont les parents sont issus de l’immigration. L’inspection la maintient à son poste.
« Aujourd’hui, on ne sait plus quoi faire pour que cette directrice ne soit plus au contact d’enfants », souffle Suzanne*, l’une des enseignantes de l’école maternelle Paul-Langevin, à Bagneux (Hauts-de-Seine). Cela fait près d’un an que les plaintes contre la directrice de cette école maternelle, Véronique B., s’accumulent et que les alertes auprès de l’inspection de l’éducation nationale s’enchaînent avec un même constat : « L’inspection ne nous prend pas au sérieux. »
Véronique B., 61 ans, vante souvent ses trente-cinq années d’expérience, vingt-sept à la tête de cet établissement de 130 élèves. En plus de son poste de directrice, elle a aussi en charge une classe de moyenne section. Sollicitée par Mediapart, elle refuse de répondre, mettant en avant « son devoir de réserve ». (...)
Depuis la rentrée scolaire de septembre 2020, le malaise ne fait que grandir. La première alerte est venue de Karim*, lorsqu’il s’est confié à plusieurs représentants de la Fédération de conseils de parents d’élèves (FCPE), le mois suivant.
Pour la première fois, ce père révèle les difficultés rencontrées avec Véronique B. durant toute l’année scolaire 2019-2020, notamment parce que la directrice refusait d’appeler sa fille par son prénom d’usage, Myriam*. Sa famille a, en effet, choisi de l’appeler par son second prénom à l’état civil, plutôt que le premier. Cela ne pose aucun problème depuis des années, sauf pour la directrice en question, qui met un point d’honneur à refuser de se plier à cette règle.
« Il faut signaler qu’en septembre 2019 la famille venait d’arriver en France. Originaires d’Algérie, les parents de Myriam ne lui avaient pas appris le français, qu’elle découvrait donc à l’école Langevin, alors en moyenne section… En étant appelée par un prénom qui n’était pas le sien, explique une représentante de la FCPE. À de nombreuses reprises, le père de Myriam a donc échangé avec Véronique B. pour la faire changer d’avis, et appeler sa fille par son prénom d’usage. Elle refusait systématiquement. »
Dans un document daté de février 2020, une responsable de l’école confirme que la directrice refuse de l’appeler par son prénom d’usage et rapporte cette situation pour le moins étonnante : l’enfant se faisait systématiquement appeler par son premier prénom par la directrice et parfois Myriam par d’autres camarades ou membres de l’école.
Le père en question est allé jusqu’à demander à la mairie de produire un document certifiant que Myriam était bien son deuxième prénom pour convaincre la directrice de respecter sa demande. En vain. Elle aurait alors exigé un document de son lieu de naissance en Algérie. (...)
Le père abandonne les démarches et « se résigne à voir sa fille développer divers troubles psychologiques : de l’énurésie, des cauchemars, des angoisses et des violences à l’endroit de ses camarades, rapporte la membre de la FCPE. Au bout du compte, le premier confinement sauve la petite : échappant à l’emprise de Véronique B., elle retrouve peu à peu l’équilibre ».
C’est à l’occasion d’une réunion tenue par la FCPE un an plus tard, en octobre dernier, que les enseignants découvrent le combat de ce père et les souffrances de sa fille. « On ne savait absolument rien de tout ça. La directrice n’avait rien dit et quand on voyait la petite dans le couloir, on l’appelait donc par son mauvais prénom », regrette Camille*, une autre enseignante.
Lors de cette réunion, le personnel éducatif confirme n’avoir aucune difficulté à accéder à la revendication du père. La directrice, elle, « a maintenu sa position durant une heure de discussion, explique un participant. Elle a dit vouloir se conformer à l’état civil comme la loi l’exige ». Pourtant, la loi précise bien que « tout prénom inscrit dans l’acte de naissance peut être choisi comme prénom usuel, quel que soit son ordre ».
Après le signalement de la FCPE, la directrice est convoquée par l’inspection de l’éducation nationale, le 2 novembre 2020, et une nouvelle réunion avec la FCPE et les enseignants se tient, le 5 novembre. (...)
« J’ai récupéré mon fils avec les lacets coupés au ciseau par la directrice »
Cet épisode a, en tout cas, libéré la parole d’autres parents. « En l’espace d’une dizaine de jours, la FCPE se retrouve destinataire de près d’une dizaine de témoignages concernant cette directrice », explique une membre de la fédération. Celle-ci reçoit, par exemple, le courrier qu’une mère avait envoyé à l’inspection en 2015 pour évoquer « les difficultés rencontrées par les élèves scolarisés dans la classe de la directrice ». Ils reçoivent aussi un témoignage anonyme dénonçant « un acte de maltraitance de Véronique B. sur un enfant », qu’ils transmettent à Jannick Caillabet.
Lors de l’entretien, la FCPE insiste sur les similitudes constatées à la lecture de tous ces signalements : « Les victimes de ces agissements sont des enfants presque exclusivement issus de l’immigration, d’Afrique noire ou du Maghreb. » (...)
Mi-novembre, grâce à l’appui de la FCPE et de certains enseignants, la mère de Sonia réussit à faire changer de classe sa fille. « Aujourd’hui, Sonia est heureuse et épanouie et pas du tout un “enfant différent” comme Mme B. l’a traitée. La seule différence, c’est qu’elle est un enfant de deux immigrés travaillant dur pour assurer un meilleur avenir à leurs enfants », explique-t-elle. (...)
Lors de cette libération de la parole, les enseignants apprennent que la directrice aurait aussi refusé d’utiliser le nom d’usage d’un autre élève. Ils découvrent aussi l’histoire de Saïd*, un enfant de 6 ans en situation de handicap, « pris en grippe » par la directrice, selon son père, contacté par Mediapart.
« Il adorait aller à l’école et, dès qu’il est venu en moyenne section dans la classe de Véronique B., il ne voulait plus y aller et ne cessait de me dire que sa maîtresse n’était pas gentille », rapporte son père, qui détaille ensuite « l’événement de trop » que trois enseignantes confirment : « Un jour, j’ai récupéré mon fils avec les lacets coupés au ciseau par la directrice. Des chaussures que je venais d’acheter. Elle avait fait ça, car elle lui reprochait de ne pas savoir faire ses lacets et voulait qu’il ait des chaussures avec des scratchs », explique-t-il. Après avoir demandé des comptes lors d’un entretien et menacé de prévenir l’inspection, la situation se serait apaisée. « Véronique s’est calmée depuis avec cet enfant », explique l’enseignante, Suzanne qui a toutefois signalé l’événement à l’inspectrice. (...)
« Une fois, une famille “blanche” est entrée dans la classe et elle a dit : “Voilà les bonnes familles”, affirme-t-il. Ça m’a fait mal. » Selon ce père, la directrice aurait l’habitude de « mal parler » aux parents qui s’expriment mal en français et, parfois, « de crier sur eux ». Des éléments que les trois enseignants confirment auprès de Mediapart.
« Nous devons faire valoir notre devoir de signalement »
Lors de cette même réunion tenue entre la FCPE et l’inspectrice, le cas d’Isabelle*, une autre élève, est mentionné. « Ses parents se sont récemment aperçus que la maîtresse de leur fille l’appelait “Grande Duduche”. Au point qu’en entendant “Grande Duduche” Isabelle se retourne. Mme B. n’utilisait pas le prénom de l’élève pour s’adresser à elle », dénonce la fédération, selon le compte rendu. (...)
« Elle colle des étiquettes aux enfants. Il y a le “mollasson”, la “terreur”, ça me dérangeait », confie la mère de Judith, qui accuse également la directrice d’exercer des « violences éducatives ». « Ça peut sembler dérisoire, mais on a vu comment notre enfant se sentait dévalorisée par ce surnom que la directrice refusait d’abandonner », ajoute-t-elle. D’après des documents consultés par Mediapart, Véronique B. assume, en effet, utiliser ce genre de surnoms, qui n’auraient rien de problématiques, selon elle.
Mais les parents de Judith listent d’autres griefs. « Ma fille se faisait taper par une autre élève et, lorsqu’on a demandé à la directrice de faire quelque chose, elle n’a pas réagi, sauf à nous dire que notre enfant ne devait pas traîner avec elle », dénoncent-ils, mails à l’appui. (...)
Surtout, plusieurs parents dénoncent à Mediapart sa manière de tenir sa classe. « Elle vocifère en permanence, on l’entend crier sur les enfants ou des parents tous les matins », témoigne Adeline*. « C’était insoutenable », confirme la mère de Judith, qui a rapidement exigé plusieurs rendez-vous avec la directrice pour tenter « d’arranger les choses ». « On a tapé à toutes les portes, la mairie, l’inspection nationale, mais personne n’a voulu nous prendre au sérieux », regrette-t-elle.
En septembre 2019, ils ont notamment signalé à la mairie le fait que leur fille avait « peur » lorsqu’elle se rendait en classe (...)
Le rectorat décline notre entretien
Auprès de Mediapart, les parents de Sacha*, un autre élève, déplorent, eux aussi, « les dégâts causés par Véronique sur leur enfant » et disent avoir constaté cette année, depuis qu’il ne l’a plus comme enseignante, une amélioration. « Aujourd’hui, il est content d’aller à l’école, il n’y va plus à reculons », explique sa mère, qui reste interrogative face à certaines phrases répétées par Sacha. « Lors d’un exercice avec sa nouvelle maîtresse, il a dit : “J’arrive pas, de toute façon Véronique a dit que mon cerveau ne marchait pas.” Lors d’un autre atelier, il a dit qu’il était “débile” », rapporte-t-elle : « Tout ça nous questionne : qu’est-ce qu’il s’est passé dans sa classe pour qu’il soit encore marqué par la directrice, six mois après ? »
Elle avait alors exigé un rendez-vous avec la directrice. « Lors de l’entretien, elle nous a fait comprendre qu’on vivait dans un quartier populaire et qu’il ne fallait pas qu’on oublie qu’on est à Bagneux, avec une population d’Africains et de Maghrébins, qu’elle avait une sorte de mission divine d’éducation de ces populations », affirme la mère de Sacha, qui, « choquée par ces propos », alerte l’inspection, le 15 mars dernier. (...)
Face à « l’absence de réaction », trois enseignantes envoient un nouveau courrier à l’inspection, le 3 mars 2021, pour « demander de l’aide » et « protéger les élèves ». En plus de dénoncer le management de Véronique B. – une enseignante a aussi déposé une main courante contre elle pour harcèlement moral –, elles détaillent son attitude vis-à-vis de ses élèves. (...)
Mais, depuis, il ne se serait rien passé. « On n’a aucune nouvelle. Et, surtout, la directrice est toujours en contact d’élèves et doit l’être encore pour la rentrée prochaine », regrettent les trois institutrices, qui listent ensemble d’autres exemples « problématiques », comme la fois où Véronique B. aurait « douché à l’eau froide » une élève tout habillée lorsque celle-ci avait fait une crise. « Il y a une peur généralisée avec des parents qui n’osent rien dire pour protéger leurs enfants et nous qui sommes à bout, cela ne peut plus durer comme ça », ajoute Suzanne.
D’après nos informations, le dossier est bien remonté jusqu’au rectorat de Versailles et l’inspection académique a convoqué la directrice en présence de l’inspectrice de circonscription, le 27 avril dernier. La seule décision prise a été de mettre en place « un projet d’accompagnement ». (...)
Le ministère de l’éducation nationale choisit donc de maintenir la directrice à son poste et de la laisser au contact des élèves l’an prochain, sans pousser les investigations sur les témoignages et signalements pourtant très nombreux.
Sollicité à plusieurs reprises par Mediapart, le rectorat de Versailles a finalement refusé notre entretien. « L’académie porte une attention vigilante vis-à-vis de cette école et l’inspectrice assure un accompagnement rapproché de l’ensemble de l’équipe », s’est contenté de répondre son service communication. La mairie de Bagneux, elle, n’a pas souhaité nous répondre.