
Delphine, agricultrice bio en Bretagne, a découvert que ses terres étaient polluées de pesticides interdits il y a des décennies. Sans soutien de l’État, elle a dû cesser son activité et chercher seule comment réduire les risques pour ses clients.
Pour Delphine, maraîchère dans le sud de la Bretagne, le temps s’est arrêté le 18 novembre 2021. Ce jour-là, une cliente l’appelle pour lui dire qu’un contrôle inopiné de son organisme certificateur révèle une présence irrégulière de pesticides dans ses soupes. Les produits en cause, la dieldrine et l’aldrine, sont des insecticides, de la famille organochlorée, utilisés pour lutter contre des vers et charançons s’attaquant au maïs et aux pommes de terre.
L’usage de la dieldrine dans l’agriculture – très toxique pour l’être humain et l’environnement – est interdit depuis 1972, les deux produits – l’aldrine est un cancérogène – ont été totalement prohibés en 1992, soit trente ans avant qu’un contrôle en détecte dans les produits de Delphine.
« Ma cliente m’a appelée parce que ses soupes contenaient des courges qui venaient de chez moi », explique l’agricultrice. Au début, cela l’a fait bien rire Delphine, cette histoire de pesticides. Elle prend bien soin de ne jamais en mettre. « Au moment de l’achat de mes terres, certifiées en bio depuis 2012, je m’étais réjouie du fait qu’elles soient bordées de champs bio et d’un bois, pour faire écran, justement, aux produits épandus par ailleurs. » Sans compter le fait que les pesticides identifiés sont interdits depuis des décennies. Elle se dit qu’il s’agit donc probablement d’une erreur.
Delphine décide cependant de faire des analyses ciblées de ses productions, histoire de montrer patte blanche. (...)
Le verdict – sévère – tombe cinq jours plus tard (...)
Des services d’État démunis
Pour la maraîchère, le coup est rude. Cela fait près de dix ans qu’elle travaille dur en étant convaincue de fournir des produits de qualité à ses clients, en respectant le cahier des charges de l’agriculture biologique. « Je me suis effondrée. J’ai beaucoup pleuré. En plus, j’étais en train de transmettre la ferme. Mon mari avait été muté sur une autre commune. On prévoyait de se lancer dans un nouveau projet de vie. Et là, tout se cassait la gueule. »
Aussitôt, elle appelle la direction départementale de la protection des populations (DDPP), le service de l’État en charge de la protection des consommateurs ainsi que de la garantie de la qualité et de la sécurité de l’alimentation. « Je ne savais pas quoi faire. Je m’interrogeais sur le reste de ma production, étant donné que les sols étaient pollués » (...)
Une semaine après avoir reçu les analyses de la maraîchère, la DDPP lui répond par écrit qu’elle doit retirer ses courges de la vente, et les détruire. Où et comment ? L’information n’est pas précisée. (...)
Il n’est pas mentionné non plus ce que Delphine est censée faire des courges détruites, devenues des sortes de déchets chimiques, puisque contaminées aux pesticides. (...)
L’agricultrice sait que ses sols sont pollués ? À elle de prouver que ses produits ne le sont pas. (...)
« Si je veux continuer à commercialiser mes produits, je dois tous les contrôler, comprend Delphine, sachant que chaque analyse coûte 117 euros, que je produis 110 légumes différents, et qu’il faut multiplier ce chiffre par le nombre de parcelles sur lesquelles je fais tourner les cultures chaque année. Tout cela sans aucune garantie de rien du tout. »
Après avoir investi dans les graines, dans les plants, dans les heures de travail qu’exigent les cultures, elle pourrait être obligée de détruire sa production, si celle-ci s’avère dépasser les limites. « Quelle entreprise peut faire cela ? C’est impossible ! Encore moins quand on connaît, comme moi, la valeur ajoutée des légumes. »
Pour l’agricultrice , tout bascule. Elle est obligée d’arrêter de commercialiser ses légumes et de licencier sa salariée, qui travaillait en CDI et à temps plein. Pour solder une partie de ses emprunts, elle revend son matériel. Elle se retrouve avec une somme inimaginable de problèmes à traiter, en plus du choc à encaisser et d’un sentiment de culpabilité qui ne la quitte plus (...)
Des services d’État démunis
Pour la maraîchère, le coup est rude. Cela fait près de dix ans qu’elle travaille dur en étant convaincue de fournir des produits de qualité à ses clients, en respectant le cahier des charges de l’agriculture biologique. « Je me suis effondrée. J’ai beaucoup pleuré. En plus, j’étais en train de transmettre la ferme. Mon mari avait été muté sur une autre commune. On prévoyait de se lancer dans un nouveau projet de vie. Et là, tout se cassait la gueule. »
Aussitôt, elle appelle la direction départementale de la protection des populations (DDPP), le service de l’État en charge de la protection des consommateurs ainsi que de la garantie de la qualité et de la sécurité de l’alimentation. « Je ne savais pas quoi faire. Je m’interrogeais sur le reste de ma production, étant donné que les sols étaient pollués » (...)
Une semaine après avoir reçu les analyses de la maraîchère, la DDPP lui répond par écrit qu’elle doit retirer ses courges de la vente, et les détruire. Où et comment ? L’information n’est pas précisée. (...)
Il n’est pas mentionné non plus ce que Delphine est censée faire des courges détruites, devenues des sortes de déchets chimiques, puisque contaminées aux pesticides. (...)
L’agricultrice sait que ses sols sont pollués ? À elle de prouver que ses produits ne le sont pas. (...)
« Si je veux continuer à commercialiser mes produits, je dois tous les contrôler, comprend Delphine, sachant que chaque analyse coûte 117 euros, que je produis 110 légumes différents, et qu’il faut multiplier ce chiffre par le nombre de parcelles sur lesquelles je fais tourner les cultures chaque année. Tout cela sans aucune garantie de rien du tout. »
Après avoir investi dans les graines, dans les plants, dans les heures de travail qu’exigent les cultures, elle pourrait être obligée de détruire sa production, si celle-ci s’avère dépasser les limites. « Quelle entreprise peut faire cela ? C’est impossible ! Encore moins quand on connaît, comme moi, la valeur ajoutée des légumes. »
Pour l’agricultrice , tout bascule. Elle est obligée d’arrêter de commercialiser ses légumes et de licencier sa salariée, qui travaillait en CDI et à temps plein. Pour solder une partie de ses emprunts, elle revend son matériel. Elle se retrouve avec une somme inimaginable de problèmes à traiter, en plus du choc à encaisser et d’un sentiment de culpabilité qui ne la quitte plus (...)
Delphine fournit alors trois Amap (Association pour le maintien d’une agriculture paysanne), un magasin de producteurs, deux restaurants, trois marchés et plusieurs restaurants collectifs.
Quelques semaines plus tard, il s’avère en fait que la dose de pesticides contenus dans les courges de Delphine ne dépasse pas la LMR. « Le laboratoire s’est trompé, et la DDPP aussi », détaille-t-elle. Mais au moment où cette erreur est identifiée, les cucurbitacées sont d’ores et déjà détruites (...)
À partir du moment où je sais que de tels produits sont présents dans mes légumes, comment puis-je, tranquillement, imaginer que des gens vont les manger ? Peu importe la dose. »
Ajoutons que les réglementations sont mouvantes et que les seuils de dangerosité peuvent évoluer. Un produit présenté pendant des années comme sans danger peut se retrouver interdit. C’est d’ailleurs le destin d’à peu près tous les pesticides depuis 60 ans.
Silence du côté du ministère (...)
bien que très affectée, Delphine n’a pas l’intention d’en rester là.
Elle déploie un temps et une énergie à toute épreuve pour obtenir des réponses aux mille et une questions qu’elle se pose. Inquiète pour la santé de sa salariée, de ses clients et de sa famille, l’agricultrice au chômage forcé contacte l’agence régionale de santé (ARS). « Quelle durée de rémanence ont la dieldrine et l’aldrine ? Quels sont les risques pour les travailleurs ? Y a-t-il des risques spécifiques pour les femmes enceintes ? »
« Les résultats d’analyse joints à votre courrier ne permettent pas d’évaluer le risque sanitaire encouru par vos clients, votre famille ou vous-même » répond l’agence, avant de conseiller à Delphine de réaliser une « interprétation de l’État des milieux » (IEM) – une analyse poussée des sols, de l’air et des végétaux – qui pourrait lui « apporter des réponses sur les risques et les mesures de prévention et de protection à adopter ».
Problème : une IEM coûte environ 10 000 euros ! Où Delphine est-elle censée trouver cette somme, elle qui touche 850 euros par mois de congé maladie depuis mars 2022 ? (...)
Une agricultrice victime du système (...)
« C’est un dossier épineux, qui embête les services de l’État », interprète Julien Hamon de la Confédération paysanne du Morbihan, indigné que Delphine ait été laissée livrée à elle-même, voire traitée comme une véritable suspecte. Évoquant la visite des services du ministère de l’Agriculture sur sa ferme, Delphine décrit le fort sentiment d’injustice qui l’étreint. « Ils ont fait des prélèvements de légumes aux champs et on a retracé mon fonctionnement sur la ferme pour voir si cela ne pouvait pas être une contamination croisée. »
En fouillant un peu sur le Net, elle découvre que le même problème de pollution à l’aldrine est apparu dans le Bordelais, en 2016, avec des courgettes. À l’époque, plusieurs exploitations sont concernées, sur une superficie de plus de 150 hectares. Rebelote en 2018 dans le Finistère, avec des concombres. « Cela signifie que les services de l’État savent ça et que nous, les producteurs, on n’est pas informés ? On nous laisse acheter des terres sans analyses préalables ? Faire des emprunts ? Prendre d’importants risques financiers ? Ce n’est quand même pas normal ! » s’indigne Delphine.
S’il n’informe pas les producteurs de la pollution possible de leurs terres aux organochlorés, l’État s’intéresse malgré tout discrètement au problème. Nous avons ainsi découvert au fil de notre enquête qu’un chargé de mission du ministère de l’Agriculture semble faire le tour de France pour établir un diagnostic de la pollution.
Contacté par Basta !, il refuse de nous en dire plus.
Elle doit expliquer la manière dont elle s’organise, l’agencement de son hangar, sa méthode de préparation des marchandises, etc. Cela dure une longue et éprouvante après-midi. (...)
Identifier les responsables (...)
« Quand j’ai évoqué cette idée avec la Safer, on m’a ri au nez », se souvient Delphine, encore affectée par ce mépris. La Fnab réclame par ailleurs que le fonds d’indemnisation des victimes de pesticides, pour le moment destiné aux personnes malades, soit étendu à ceux et celles qui subissent des dommages économiques à cause des pesticides. Typiquement, les fermes labellisées AB obligées de détruire leur production. En attendant, soucieuse d’avancer et de tourner la page, Delphine a proposé de faire de sa ferme un lieu expérimental, pour faire des essais de dépollution.
Elle n’a pas eu de retour quant à cette proposition. Elle réfléchit par ailleurs à intenter des actions juridiques contre certains services de l’État, et craint de devoir séparer les terres de sa maison. Soit de disloquer, encore, une ferme. Et évidemment, elle ne sera plus jamais agricultrice.