
Pointés du doigt, au plus haut sommet de l’État, il y a encore quelques mois, les migrants subsahariens de Tunisie sont désormais pourchassés, principalement dans la ville côtière de Sfax. Face à ce déferlement de racisme, une vingtaine d’intellectuels et universitaires africains dont Souleymane Bachir Diagne, Sophie Bessis, Achille Mbembe ou Ahmed Abbes lancent une pétition pour condamner les violences et appeler au respect des droits humains en Tunisie.
Le 21 février 2023, lors d’une réunion du Conseil de sécurité nationale, le président tunisien Kaïs Saïed a tenu des propos alarmants concernant les migrants subsahariens. Il les a qualifiés de « hordes de migrants clandestins » et les a accusés d’être responsables de « violence, de crimes et d’actes inacceptables », insistant sur « la nécessité de mettre rapidement fin » à cette immigration. Il a en outre soutenu que cette immigration clandestine relevait d’une « entreprise criminelle ourdie à l’orée de ce siècle pour changer la composition démographique de la Tunisie », afin de la transformer en un pays « africain seulement » et estomper son caractère « arabo-musulman ».
Cette charge contre les migrants subsahariens, qui reprend la théorie conspirationniste du « grand remplacement » du penseur français d’extrême-droite Renaud Camus, survient quelques jours après qu’une vingtaine d’ONG tunisiennes ont dénoncé la montée d’un « discours haineux » et du racisme à leur égard. Malheureusement, ces préoccupations étaient fondées, car des actes de violence raciste se sont multipliés après le discours du président tunisien. Des groupes ont pris d’assaut les rues, attaquant les migrants, les étudiants et les demandeurs d’asile noirs. Les forces de police ont même procédé à l’arrestation et à l’expulsion de nombreux individus issus de ces communautés.
Face à cette flambée de violence, le président Saïed a tenté de calmer les tensions (...)
De manière préoccupante, le président tunisien a également affiché sa connivence avec la Première ministre italienne Giorgia Meloni en matière de politique migratoire. Celle-ci est l’architecte d’un plan d’aide européen à la Tunisie d’un peu plus d’un milliard d’euros en échange de sa collaboration dans la lutte contre l’immigration clandestine. (...)
D’autres pays européens, comme la France et l’Allemagne, ont également manifesté leur intention d’aider la Tunisie à contenir les flux migratoires vers l’Europe.
Face à ce marchandage indigne, le président tunisien adopte une posture ambivalente. Il répète à qui veut l’entendre son refus de faire de son pays le garde-frontière de l’Europe et insiste sur le fait que la Tunisie ne serait pas « un pays d’installation » des migrants, tandis que les Européens se sont mis d’accord en juin sur un « pacte migratoire » qui ouvre la voie notamment à l’expulsion de migrants vers des « pays tiers sûrs » qui devraient inclure la Tunisie.
Mais les propos du président Saïed sont contredits par le rôle actif de la Tunisie dans la lutte contre l’immigration vers l’Europe (...)
Récemment, la ville de Sfax, au centre de la Tunisie, a été le théâtre d’une grande tension entre la population locale et les migrants subsahariens. Une violence sans précédent a éclaté, alimentée par des appels à la vengeance contre les migrants originaires d’Afrique subsaharienne à Sfax, après que l’un d’eux, présenté comme Camerounais par les autorités, ait tué un habitant de la ville lors d’une rixe. En conséquence, des dizaines, voire des centaines de migrants, dont des femmes, des enfants et des nourrissons, ont été emmenés par les forces de sécurité et abandonnés dans une zone tampon à la frontière libyenne, sans accès à l’eau ni à la nourriture.
Nous, soussignés, exprimons notre profonde consternation face à la situation préoccupante qui se déroule en Tunisie.
Nous dénonçons fermement les propos racistes tenus par le président tunisien Kaïs Saïed, qui stigmatisent les migrants subsahariens et alimentent la haine et la violence à leur égard.
Nous condamnons fermement toute forme de violence, y compris le meurtre d’un habitant de Sfax et les attaques physiques et les arrestations arbitraires perpétrées contre les migrants, les étudiants et les demandeurs d’asile noirs en Tunisie.
Nous appelons les autorités tunisiennes à prendre des mesures immédiates pour protéger toutes les personnes se trouvant sur le territoire tunisien, qu’elles soient citoyennes ou migrantes. Nous exigeons que les droits de l’homme, y compris les droits des migrants, soient respectés conformément aux conventions internationales auxquelles la Tunisie a adhéré.
Nous demandons aux autorités européennes de mettre fin à leur exploitation cynique des crises traversées par la Tunisie pour contrôler les flux migratoires. Nous exhortons les pays européens à faire preuve d’humanisme et de solidarité envers les migrants africains, tout comme ils l’ont fait par le passé envers les migrants européens. Les politiques migratoires doivent être guidées par le respect des droits de l’homme, la protection des personnes vulnérables et la coopération internationale.