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Trump nomme Tillerson : prémices d’une contre-révolution énergétique mondiale ?
un extrait du livre Sortons de l’âge des fossiles ! Manifeste pour la transition, Maxime Combes, économiste et membre d’Attac Franceéd. Seuil, coll. Anthropocène
Article mis en ligne le 20 janvier 2017

La nomination du PDG d’ExxonMobil est une prise de pouvoir sans précédent des intérêts privés sur l’appareil d’État. Promoteur d’un désolant « humanitaire des énergies fossiles », Tillerson veut reléguer l’urgence climatique au second plan et re-légitimer les multinationales du secteur. N’est-il pas temps d’exiger une séparation ferme entre l’Etat et les lobbys fossiles ? Explications

Après avoir nommé des climato-sceptiques notoires à la tête de l’Agence de protection de l’environnement et du ministère de l’énergie, d’ex-banquiers de Goldman Sachs et d’autres figures peu recommandables à des postes clefs de son gouvernement, Donald Trump vient d’officialiser l’arrivée de Rex Tillerson à l’équivalent étatsunien du poste de ministre des Affaires étrangères. C’est à lui qu’échoit donc la charge de représenter les Etats-Unis dans le cadre des négociations de l’ONU sur le réchauffement climatique, et plus largement celle de défendre les intérêts des Etats-Unis – et de leurs multinationales – à l’échelle internationale. (...)

Beaucoup d’articles de presse reviennent sur les liens avérés de l’actuel PDG d’ExxonMobil avec la Russie de Poutine : des contrats de plusieurs dizaines de milliards de dollars ont été signés pour des projets d’exploitation dans les îles Sakhaline, dans la mer de Kara, en Sibérie occidentale ou encore dans la Mer noire. Ce qui a conduit Tillerson à déplorer les sanctions économiques américaines envers la Russie en 2014, décidées en représailles de l’intervention russe en Crimée.

Le réchauffement climatique n’est pas prioritaire

ExxonMobil, une des plus puissantes multinationales de la planète, est la major du pétrole qui a financé avec le plus de ferveur et de constance les négationnistes du climat, alors qu’elle avait connaissance de la gravité du réchauffement depuis plus de quarante ans.
(...)

Le rapport publié par ExxonMobil en décembre 2014, est de ce point de vue exemplaire2. D’un côté est mise en avant la croissance de la population mondiale et l’augmentation des besoins de nourriture, de transport, de logement, d’éducation, de santé, etc., qui sont autant de biens et services qui « dépendent de l’énergie ». De l’autre, les énergies renouvelables sont jugées trop chères et trop intermittentes pour satisfaire ces besoins, légitimant l’exploitation croissante des énergies fossiles, présentées comme les seules à même de pouvoir supporter cet accroissement de la demande.
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C’est la version moderne appliquée aux énergies fossiles du « il n’y a pas d’alternative » (There is no alternative, TINA), rendu célèbre par Margaret Thatcher dans le domaine économique. La planète brûle, les écosystèmes sont dévastés et la pérennité de l’espèce humaine n’est pas assurée, mais, pour ExxonMobil, et plus largement pour les multinationales de l’énergie, il n’y aurait pas d’alternative que d’accroître la production et la consommation d’énergies fossiles. Et ce, au nom des 1,3 milliards de personnes qui n’ont pas accès à l’électricité. (...)

Vous ne le saviez peut-être pas mais ExxonMobil fait donc dans l’humanitaire. Un « humanitaire des énergies fossiles »3. Ces dernières sont en effet supposées exploitées pour satisfaire les besoins des personnes qui en sont aujourd’hui privées. Si l’on écoute Tillerson, ce dévouement humanitaire des majors du pétrole, qui vise à améliorer les conditions de vie des plus pauvres et des générations à venir, devrait donc être salué et encouragé !

Que cette promesse ne soit pas vérifiée dans les faits – 80 % de l’énergie que ces multinationales produisent est consommée par 20 % de la population mondiale alors que c’est justement le déploiement des énergies renouvelables au plus près des besoins des populations qui permettra de leur fournir les services rendus par l’énergie – importe peu. Elle a une autre fonction : soutenir la légitimité sociale et politique d’entreprises multinationales dont l’objet – exploiter les énergies fossiles – est mis à mal par l’accélération du réchauffement climatique et par les mobilisations et exigences de la société civile visant à désinvestir du secteur.

« Une prise de pouvoir sans précédent des intérêts privés sur l’appareil d’État » (...)

L’arrivée de Tillerson, et consorts, au cœur de l’appareil d’Etat américain marque « une nouvelle étape » comme l’explique Olivier Petitjean sur le site de l’Observatoire des multinationales : « il ne s’agit plus seulement d’influencer les régulations et d’entraver les tentatives de réforme de l’administration » mais « dorénavant les autorités publiques sont confiées à ceux là même qui ont consacré leur carrière à les combattre ». C’est « une prise de pouvoir sans précédent des intérêts privés sur l’appareil d’État ».

Un renversement d’alliance

Ce virage va-t-il se limiter aux Etats-Unis ? Rien n’est moins sûr. Miguel Arias Cañete, commissaire européen en charge de l’énergie et de l’action climatique, n’est-il pas lié au secteur pétrolier et gazier et n’est-il pas l’un des artisans de la contre-révolution énergétique européenne en cours ?7 En France, que fera Patrick Pouyanné, actuel PDG de Total et soutien officiel de François Fillon – dont il a déjà été directeur de cabinet en 1995-96 – si ce dernier venait à gagner la présidentielle ? Que deviendront les lobbyistes pro-gaz de schiste jusqu’ici marginalisés ? (...)

A court terme, une triple exigence pourrait conduire à nous faire avancer collectivement :

  • prôner une séparation ferme entre l’Etat – et plus largement les dépositaires de l’intérêt général – et les lobbys des énergies fossiles ;
  • exiger des sanctions internationales – et mettre en œuvre des sanctions symboliques via des opérations de boycott – envers l’abandon et la non-mise en œuvre de politiques climatiques ambitieuses ;
  • montrer que la transition énergétique crée bien plus d’emplois qu’elle n’en détruit (ce que nous ferons très bientôt) ;

Cette triple exigence, comme trois outils de réaction citoyenne articulant actions immédiates et perspectives de long-terme, nous semble mieux-à-même de répondre aux défis auxquels nous faisons face que de chercher un introuvable leadership climatique en Chine et/ou dans la main invisible des marchés, comme s’y attellent actuellement les architectes de l’Accord de Paris, qui semblent pétrifiés par l’enjeu et en manque d’idées nouvelles. Prenons la main.