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le Monde Diplomatique
Trois émeutes par jour en Afrique du Sud
Article mis en ligne le 19 août 2013
dernière modification le 14 août 2013

Sur fond de rivalités syndicales et avant des élections en 2014, la mine de Marikana en Afrique du Sud a fait une nouvelle victime. Le meurtre devant son domicile de Mme Nbongile Madolo, responsable du Syndicat national des mineurs (NUM), parmi les plus importants du pays, vient s’ajouter à d’autres assassinats, un an après les grèves réprimées par la police (34 morts). En mars, le long reportage de Sabine Cessou nous plongeait dans l’histoire sociale d’un pays en « état d’insurrection permanente », dont les racines politiques remontent au temps où Nelson Mandela était encore en prison.

En dépit d’accusations de corruption, le président Jacob Zuma a été réélu à la direction du Congrès national africain (ANC) le 18 décembre dernier. Mais les signes de fragilisation se multiplient, comme la création du parti Agang (« Construisons ») par la célèbre militante antiapartheid Mamphela Ramphele, en vue de l’élection présidentielle de 2014. La sanglante répression de la grève des mineurs de Marikana, le 16 août 2012, a révélé l’ampleur de la crise sociale et les débats qu’elle suscite dans la nation arc-en-ciel. (...)

L’onde de choc est comparable à celle du massacre de Sharpeville, dont les événements de Marikana ont réveillé le souvenir. Le 21 mars 1960, la police du régime d’apartheid (1948-1991) avait tué soixante-neuf manifestants noirs qui protestaient dans un township contre le pass imposé aux « non-Blancs » pour se rendre en ville. Quand la nouvelle du drame était arrivée au Cap, la population de Langa, un township noir, avait réduit les bâtiments publics en cendres.

Les mêmes réactions en chaîne se produisent aujourd’hui. Dans le sillage de Marikana, les employés des secteurs des mines, des transports et de l’agriculture multiplient les grèves sauvages. Les ouvriers agricoles de la province du Cap-Occidental réclament le doublement de leur salaire, 150 rands (15 euros) par jour au lieu des 7 euros garantis par leur salaire minimum. Résultat : vignobles incendiés, magasins pillés et épreuve de force avec la police. Le tout sur fond de licenciement des grévistes et d’absence de dialogue social. En novembre, dans le village de De Doorns, à cent quatre-vingts kilomètres du Cap, deux ouvriers agricoles ont été tués lors d’une manifestation. (...)

Aujourd’hui, les syndicats noirs, forts de plus de deux millions d’adhérents, réclament au gouvernement une vraie politique sociale et de meilleures conditions de travail pour tous. Mais, particularité sud-africaine, ils sont… au pouvoir. Avec le Parti communiste sud-africain et l’ANC, ils constituent depuis 1990 une alliance tripartite « révolutionnaire » censée œuvrer à la transformation de la société. Communistes et syndicalistes représentent l’aile gauche de l’ANC, que le parti s’efforce de brider en distribuant le pouvoir. Les dirigeants communistes occupent ainsi régulièrement des postes ministériels, tandis que ceux du Cosatu siègent au comité exécutif national de l’ANC. Leur contestation de la gestion libérale de l’économie par l’ANC y perd en crédit (2). (...)

Les observateurs se demandent qui, de l’ANC ou du Cosatu, implosera le premier sous la pression sociale. Or les dynamiques à l’œuvre, plus complexes qu’une simple opposition droite-gauche, empêchent précisément toute scission. (...)

La bourgeoisie noire vit loin des townships, où elle ne redistribue pas — ou peu — ses richesses. Ses goûts de luxe et son opulence ont éclaté au grand jour sous la présidence de M. Thabo Mbeki (1999-2008), à la faveur de la croissance des années 2000. Mais, depuis l’arrivée au pouvoir de M. Zuma, en 2009, l’archevêque Desmond Tutu (4) et le Conseil des églises d’Afrique du Sud ne cessent de dénoncer un « déclin moral » bien plus grave que le prix mirobolant des lunettes de soleil de ceux que l’on surnomme les Gucci revolutionaries. « Les relations peuvent se tisser de manière ouvertement vénale, sourit un avocat d’affaires noir qui préfère garder l’anonymat. (...)

Vingt ans après la fin de l’apartheid, les Blancs gagnent toujours plus que les Noirs. Six fois plus, selon le recensement de 2011, avec des revenus moyens de 36 500 euros par an, contre 6 000 euros pour les ménages noirs. (...)

le niveau de désespoir se voit à l’œil nu. A Khayelitsha, on noie son chagrin dans le gospel, une musique en vogue qui retentit partout, mais aussi dans la dagga (cannabis), le Mandrax ou le tik (méthamphétamine), une drogue qui ravage le township. (...)