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Libération
Toutes les rues s’appellent « Calais »
Signataires : les membres du conseil d’administration de la Société des réalisateurs de films (SRF) (...)
Article mis en ligne le 7 mai 2021

En octobre 2015, à l’initiative de quelques cinéastes, l’appel de Calais, signé par 800 personnalités et publié dans Libération, était lancé pour alerter l’opinion publique et interpeller le gouvernement sur les conditions indignes des personnes exilées dans la dénommée « jungle de Calais ». Ce bidonville d’Etat aura compté jusqu’à 12 000 femmes, hommes et enfants, dont nombre de mineurs isolés, parmi lesquels plusieurs centaines sont portées disparues.

Dans l’élan de cet appel, un collectif devenu association fut créé pour répondre à un besoin fondamental et pourtant inaccessible sur la zone : l’accès au droit. La Cabane juridique-Legal Shelter (1) a ainsi rassemblé des juristes et avocats bénévoles, pour tenir une permanence sur place, notamment orientée vers l’aide au transfert des familles et des mineurs isolés vers le Royaume-Uni, et la défense des victimes de violences policières.

Le bidonville de Calais a été détruit à la fin 2016, sans aucune solution pérenne pour les personnes qui y vivaient. Cinq ans plus tard, qu’en est-il de la prise en charge de leur accueil par l’Etat et des conditions de travail des associations sur le terrain ?

Une chasse aux « points de fixation », la peur d’un « appel d’air », de « l’invasion » sont entretenues pour servir des politiques toujours plus autoritaires et mortifères. Une traque des personnes exilées par les forces de l’ordre s’est étendue du Calaisis à la région parisienne et à la frontière italienne. Eparpillées, exténuées, elles survivent dans des bois, sur des terrains vagues, sous des ponts, où leurs campements précaires sont systématiquement dispersés, contraintes d’errer, dans une tourmente absurde et sans fin.

Aux marges de notre espace social, ces pratiques de répressions permanentes s’accompagnent d’une invisibilisation de la présence des personnes exilées, confortée par des directives préfectorales silencieuses.

Ces politiques, qui font prévaloir l’isolement sur la solidarité et l’expulsion sur l’accueil, rendent de plus en plus difficile l’accompagnement des associations, collectifs et citoyens solidaires. (...)

Et ce dans un contexte de pénalisation où des personnes solidaires se voient même accuser de « délit de solidarité » ! Le 23 avril dernier encore, le procureur du tribunal de Gap a requis deux mois de prison contre deux maraudeurs de l’association Tous migrants.
Une maltraitance institutionnelle

Cette criminalisation de la solidarité est indigne d’un Etat qui se défausse perpétuellement de sa responsabilité sur les associations et les bonnes volontés. D’un Etat qui maintient l’errance d’un côté tout en dissuadant les soutiens de l’autre, rendant la vie impossible aux personnes exilées sur le territoire français. Depuis juin 2015, rien que dans la région parisienne, on dénombre une soixantaine de suicides parmi elles, sans évoquer la tragédie des dépressions, accès psychotiques et des addictions diverses, liées à une précarité accentuée par la maltraitance institutionnelle.

Entre 2018 et 2019, 978 démantèlements de campements ont été enregistrés entre Calais et Grande-Synthe. Depuis 2015, à Paris, Aubervilliers et à Saint-Denis, ce sont 65 campements qui ont été dispersés. Le cadre juridique de ces « évacuations » est volontairement flou, voire inexistant. Celui du campement de la porte de Saint-Denis et celui de la place de la République en novembre 2020, en furent les lamentables démonstrations. Présentées comme des « mises à l’abri », ces opérations policières relèvent du harcèlement et traduisent les dysfonctionnements des systèmes d’hébergement : de fait, 80 % des personnes sont de nouveau à la rue 30 jours plus tard, dont 25 % dans les 72 heures.

Des « périmètres de sécurité » sont systématiquement mis en place à chaque démantèlement, au mépris du droit d’informer, empêchant ainsi de filmer la réalité des pratiques des forces de l’ordre. (...)

La Cabane juridique a ainsi porté 50 plaintes devant la justice pour une seule condamnation pour violences à ce jour. Désormais, elle porte plainte directement contre l’Etat et non contre les individus policiers. Plus de la moitié des plaintes sont classées sans suite, souvent au prétexte que l’on ne pouvait identifier l’auteur des faits. (...)

Comment ne pas faire le lien avec l’article 24 de la funeste loi dite « sécurité globale », qui vient d’être entérinée par les deux Chambres ?
Des pratiques de répression

Comment ne pas voir qu’il s’agit là d’une politique globale, qui dans un état d’urgence toujours prolongé voudrait ôter de notre vue ces pratiques de répression ? Une politique qui voudrait nier la présence des personnes exilées, dans un contexte aggravé par la crise sanitaire, où elles sont encore davantage précarisées et toujours plus démunies de droits.

Nous demandons l’arrêt immédiat des pratiques illégales de démantèlements, de destructions d’abris et de confiscations de biens personnels.

Nous rappelons à la prise en charge inconditionnelle des personnes exilées sur l’ensemble du territoire et à la mise en place d’une véritable politique d’accueil, dans un cadre digne et respectueux.

Nous demandons à chacune et à chacun de prendre la mesure de cet état de fait, pour que cesse cette cruauté à l’encontre des personnes les plus fragilisées, qui n’ont pas bravé les pires dangers dans leurs pays et sur les routes de l’exode pour venir mourir dans l’un des pays les plus riches du globe.