
Rebelles d’Extinction Rebellion, décrocheurs de portraits d’Alternatiba, membres de Youth For Climate : les jeunes activistes du mouvement climat n’échappent pas à l’effet Covid. Si leur engagement leur garde la tête hors de l’eau, ils souffrent de l’absence de liens réels, du manque de visibilité et de la patience de rigueur quand l’urgence taraude.
Ils pourront se passer de boîte de nuit : ils ont les réseaux sociaux. C’est ce qui s’est dit trop longtemps à propos des jeunes, étudiants, travailleurs, confinés « pour les vieux » de mars à mai, accusés de propager le Covid en abusant des apéros cet hiver. Ce serait un peu « de leur faute », le couvre-feu à 18 heures généralisé à tout le territoire le 17 janvier pour enrayer la troisième vague de l’épidémie. Mais pour la plupart, c’est le coup de massue : autant ils pouvaient pendant le confinement sortir prendre l’air au moment de leur choix, autant avec ce couperet qui tombe à la fin de leurs cours en ligne, nombreux ne voient plus la lumière du jour.
La déprime explose : effets cumulés des différentes mesures restrictives, facultés fermées, précarité, isolement, absence de petits boulots et de stages… 80 % des 15-30 ans estiment avoir subi des préjudices importants liés à la crise sanitaire, d’après un sondage Odoxa-Backbone pour France Bleu, France info Le Figaro publié le 19 janvier. Huit étudiants interrogés sur dix craignent de rencontrer des difficultés pour mener à bien leurs études. « Ils ne voient pas le bout du tunnel », titrent les sondeurs.
Les jeunes activistes du mouvement climat n’échappent pas à l’effet Covid. (...)
Reporterre les a rencontrés à La Base, lieu militant à Paris, actuellement fermé mais ouvert pour l’occasion par Alternatiba. Au rez-de-chaussée, un garçon jouait du piano, seul dans le bar complètement vide. (...)
Elle n’est pas déprimée, Sandy est très énervée : « Le gouvernement actuel n’a fait que reculer sur le climat. La Convention citoyenne a été utilisée pour verdir un discours. Du temps perdu ! » Elle assène : « C’est mort pour le + 1,5 °C, il va falloir se projeter dans un monde à +3 °C. Chaque jour en plus, c’est des gaz à effet de serre en plus, des morts en plus. Qui s’en soucie ? On zappe l’urgence réelle. » Après une période où il a fallu convaincre que la crise climatique était une crise sociale, la crise sanitaire engendre une précarité qui recouvre tout.
Alternatiba a monté des actions avec des associations de solidarité, avec les soignants, avec le collectif Adama et les quartiers. « Des alliances sont nées… On prend le temps de réfléchir à comment faire autrement, on imagine des actions en ligne. » Mais Sandy a hâte de retourner dans les rues et de continuer le combat pour une écologie populaire contre « l’écologie des puissants ». « Le militantisme me procure de la joie. Il faut travailler à un autre modèle de société. Des échéances politiques approchent. Pas question qu’on poursuive sur cette trajectoire. Il va falloir y aller ! » (...)
Marie, 18 ans : « On focalise sur un virus quand tant d’autres vont être libérés par la fonte du permafrost… » (...)
« Des étudiants décrochent, ont des pensées suicidaires, trois se sont défenestrés… Les voir aller mal me rend encore plus mal… » (...)
Il y a peu, elle s’est rendue avec une autre activiste et deux pancartes devant l’ambassade des États-Unis pour protester contre le projet de forage de Trump dans l’océan Arctique. Elle a été surprise par la violence de la réaction policière. Elle trouve que la répression s’accroit sur le mouvement climat.
Elle sait que sa vie sera « là-dedans ». Mais peut-être pas du côté de la loi, « toujours en retard ». Le contexte l’exhorte à la patience mais l’urgence la prend à la gorge. (...)
Le week-end dernier, elle est allée se promener avec des amis au parc de la Villette, dans le XIXe arrondissement parisien, comme quand elle était petite avec sa mère. Elle a eu un vertige en pensant qu’elle n’y emmènerait peut-être jamais d’enfants elle-même. Ni sur la plage de ses vacances, submergée par la montée des eaux dans un futur pas si lointain. Elle voudrait continuer à agir, Marie. Pour l’heure, elle est bloquée. Elle ronge son frein. (...)
Noé, 21 ans : « On n’a aucune visibilité, aucune perspective » (...)
Sur la question climatique, la jeunesse s’est imposée et le sujet est monté dans les préoccupations prioritaires des Français. Maintenant en première année de master, Noé n’a pas remis les pieds à Sciences Po depuis le premier confinement. « On est expérimenté en cours à distance. Nos profs sont organisés. Mais ça ne veut pas dire qu’on n’est pas lâchés dans le vide. On réalise qu’on n’ira pas en cours de l’année… » En ligne, les étudiants décrochent plus vite. La charge de cours n’a pas été adaptée. (...)
« J’essaie de ne pas me plaindre. Je ne suis pas obligé de travailler. Le fond du problème, d’ailleurs, c’est que des étudiants soient obligés de travailler. » Reste que, lâche-t-il, « ne pas aller mal ne veut pas dire aller bien. Tout le monde craque un peu. On n’a aucune visibilité, aucune perspective ».
C’est là que « l’engagement est utile », selon lui. Même si le mouvement climat est aussi un « projet de désespoir » : face à l’urgence, il y trouve « une forme de collectif auquel se rattacher ». Mais l’épidémie « freine l’action militante et la loi « sécurité globale » est une occasion d’affaiblir les mobilisations ». Les militants en profitent pour réfléchir et préparer des actions de sensibilisations. (...)
Lucie, 21 ans : « Le choix de la désobéissance » (...)
Elle a déjà fait une petite dizaine de gardes à vue pour des actions avec Extinction Rebellion (XR), dont le blocage de l’aéroport d’Orly le 26 juin 2020. Elle se souvient d’être, une fois, restée menottée au radiateur quand ses camarades étaient détachés. Elle s’est dit que les policiers n’avaient pas l’habitude de voir des têtes asiatiques en manif’. Elle non plus d’ailleurs. Lucie a 21 ans, elle termine une école d’ingénieurs à la Défense, discipline informatique, spécialité « cyber sécurité ». (...)
À XR, ils se qualifient de « rebelles ». Chez Lucie, ce n’est pas un vain mot. Elle a profité du confinement pour se mettre au piano, à la guitare et au ukulélé dans son appartement loué par ses parents. Les amendes de 135 euros pour « rassemblement non autorisé », elle les paie avec son salaire d’apprentie. « Tout le monde ne peut pas. Plus on prend d’amendes et plus elles gonflent. Les orgas ne peuvent plus suivre. Ça décourage les actions. » Le couvre-feu, c’est raide. Les cours à distance aussi (...)
Mais on ne peut ni se réunir ni organiser d’événement. Le terrain me manque : les manifestations revigorent, et puis, je me sens inutile. »