
La politique environnementale de Total et celle de Vinci comme cours aux lycéens ? C’est ce que propose un site de ressources pour les sciences économiques et sociales (SES). Il est validé par l’Éducation nationale. Des professeurs protestent.
Les intitulés interpellent : « Carrefour et la question de la biodiversité » ; « Total. Le climat, un enjeu pour la stratégie d’entreprise » ; « Vinci Autoroutes et la question environnementale ». On pourrait croire à des titres de documents de communication de ces entreprises. Il s’agit en fait de cours clé en main, d’une heure, mis à disposition des enseignants de sciences économiques et sociales (SES) de lycée et classes préparatoires, de leurs élèves, et désormais aussi des parents en ces temps de confinement et d’école à la maison.
Ces généreux présents sont offerts par le site Melchior, qui propose aux élèves et professeurs de SES des ressources pédagogiques. L’affaire est sérieuse : les cours sont rédigés par des inspecteurs et enseignants de l’Éducation nationale (la Melchior Team) avec l’aide de chercheurs en sciences économiques et de gestion (les Melchior Angels). Le tout est contrôlé par un inspecteur de l’Éducation nationale. Melchior est issu d’un partenariat entre la vénérable institution et l’Institut de l’entreprise, un think tank regroupant plus d’une centaine de grandes entreprises françaises, dont Vinci, Air Liquide, Sanofi, Sodexo… (...)
l’Association des professeurs de SES (Apses) est beaucoup moins enthousiaste. « Sous couvert de proposer des activités pédagogiques à des lycéen.ne.s, le programme Enseignants-Entreprises se transforme en opération de communication », a-t-elle dénoncé dans un communiqué le 9 mars 2020. « L’utilisation de ces ressources est régulièrement conseillée par des courriels de notre inspection, précise Solène Pichardie, coprésidente de l’Apses. On sait qu’elles sont utilisées notamment par les jeunes collègues qui démarrent dans le métier. »
L’association analyse les exercices proposés aux élèves dans une étude de cas intitulée « Comment évaluer le modèle de la concession d’autoroutes ? Le cas de l’entreprise Vinci ». « On trouve ainsi un document de l’Association française des sociétés d’autoroutes (Afsa) qui affirme que “la privatisation a été une excellente affaire pour l’État” », note le communiqué. Et en contrepoint, un article de presse présentant les fortes hausses des tarifs de péage pour les usagers, mais qui est immédiatement suivi par un graphique de l’Afsa comparant ces augmentations avec celles des tarifs de billets de TGV… Si certaines controverses liées aux concessions autoroutières sont évoquées, c’est d’abord pour proposer un exercice permettant de répondre à la question : “Quels arguments peut-on opposer à ces critiques ?” »
L’« étude de cas » sur Total et le climat les a également interpellés. « Ce qui nous choque, c’est que ça ne représente qu’une vision du monde, poursuit son collègue Benoît Guyon. C’est la goutte qui fait déborder le vase. Notre discipline a été particulièrement touchée par la réforme du lycée. Les nouveaux programmes, par exemple, présentent l’innovation comme l’unique solution à la crise environnementale. » (...)
Reporterre a soumis ce cours à des climatologues. Toute la première partie fait référence aux travaux du Giec (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat). Philippe Ciais, du Laboratoire des sciences du climat et de l’environnement (LSCE), déplore des chiffres « datant de douze ans ». « Les émissions ont depuis augmenté de 45 %, donc les efforts de réduction des émissions à faire dans le futur sont beaucoup plus importants qu’indiqué dans le cours », souligne-t-il. Hervé Le Treut, directeur de l’Institut Pierre-Simon-Laplace, appelle à la vigilance sur la question du gaz méthane utilisé comme source d’énergie« Ce qui nous choque, c’est que ça ne représente qu’une vision du monde, poursuit son collègue Benoît Guyon. C’est la goutte qui fait déborder le vase. Notre discipline a été particulièrement touchée par la réforme du lycée. Les nouveaux programmes, par exemple, présentent l’innovation comme l’unique solution à la crise environnementale. » (...)
« Le parti pris de Total se confond avec l’exercice pédagogique. »« Ce qui nous choque, c’est que ça ne représente qu’une vision du monde, poursuit son collègue Benoît Guyon. C’est la goutte qui fait déborder le vase. Notre discipline a été particulièrement touchée par la réforme du lycée. Les nouveaux programmes, par exemple, présentent l’innovation comme l’unique solution à la crise environnementale. » (...)
Hélène Soubelet, directrice de la Fondation de la recherche pour la biodiversité, estime de son côté que pour que l’investissement de l’entreprise en faveur de la biodiversité soit sérieux, il faudrait que « Carrefour s’engage à ne plus commercialiser que des produits sans perturbateur endocrinien ni pesticide, même si c’est d’ici 20 ans ». Sans être choqués par le cours, les deux scientifiques insistent surtout sur la nécessité d’une pluralité de sources et documents, qui permettraient « que les élèves soient capables de dire si Carrefour a une démarche de progrès ou si les efforts sont timides », conseille Hélène Soubelet.
Les professeurs de l’Apses défendent également la nécessité de cette pluralité de points de vue. (...)
« Ce qui nous choque, c’est que ça ne représente qu’une vision du monde, poursuit son collègue Benoît Guyon. C’est la goutte qui fait déborder le vase. Notre discipline a été particulièrement touchée par la réforme du lycée. Les nouveaux programmes, par exemple, présentent l’innovation comme l’unique solution à la crise environnementale. » (...)