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Testet : face à la violence de l’Etat, le débat de la Zad sur la non violence
Article mis en ligne le 26 octobre 2014

Jeter des cailloux sur les gendarmes ou monter en haut d’un arbre pour empêcher le déboisement ? Répondre à la violence par la violence ou y opposer un pacifisme radical ? Voilà des questions que se posent tous les jours les opposants au projet de barrage du Testet dans le Tarn. Tour d’horizon des arguments stratégiques et éthiques des zadistes du Testet

« Même ceux qui détruisent le vivant en font partie. On défend les gendarmes malgré eux et on défend leurs gosses », lance une de ses camarades. Fabien, qui vient de passer deux jours perché à plus de dix mètres du sol sur un arbre, afin d’éviter qu’il ne soit coupé, avance un autre argument : « Si on riposte, on risque de provoquer une escalade de la violence et les médias s’en serviront contre nous, même si nous ne faisons que nous défendre ». Jamy développe : « En étant non-violent, on agit comme des batteries qui accumulent leur violence. Et on s’en sert contre eux en diffusant les images sur les réseaux sociaux et dans la presse ».

Il n’empêche que j’ai pu observer des actions violentes de la part des occupants de la ZAD (zone à défendre) du Testet. Par action violente j’entends ici tout ce qui peut porter atteinte à l’intégrité physique des gendarmes.

S’ils sont peu à la pratiquer, ils sont plus nombreux à défendre la légitimité de ce type d’action. “Je suis de nature non-violente et je lutte presque tout le temps pacifiquement et n’utilise la violence qu’en dernier recours. Mais là, il y a urgence, la vie et la nature sont en danger de mort. Face à ces forces armées, les pacifictes ne suffisent pas, il faut être une équipe de combattants”, raconte un jeune homme avec une voix douce qui tranche avec la radicalité de ces propos.

Une femme d’une soixantaine d’années abonde : “Je suis incapable d’actes de violence, pourtant je l’accepte. Tant qu’on peut lutter de manière pacifiste, on le fait. Ici, ils ont pratiqué la non-violence pendant des mois, tenté des actions juridiques et des recours administratifs. Mais la violence est venue de l’extérieur, de la police et de l’Etat », insiste cette militante pro-palestinienne qui, le matin même, s’allongeait au sol pour gêner la marche des policiers. Beaucoup ici pensent, comme elle, que « les pierres seront toujours légitimes contre les fusils ». (...)

Quelques jeteurs de pierres m’ont confié qu’ils n’auraient jamais pensé avoir recours à la violence avant de confronter leur pacifisme de principe à la réalité de la situation sur place. “Quand tu vois tes potes se faire tabasser pour rien, c’est difficile de ne pas réagir”, me dit une militante toulousaine.

Le stress et la fatigue jouent sur les nerfs des zadistes et de leurs soutiens. (...)

“Leur violence à eux est froide et calculée, analyse un étudiant de passage. La nôtre est un peu folle, elle est guidée par la menace et par la peur”. Par la colère et un profond sentiment d’injustice et d’impuissance aussi. (...)

La presse utilise souvent le terme de guerilla pour qualifier la résistance des occupants de la ZAD du Testet. Mais face aux armures et aux armes des gendarmes, l’équipement de ces guerilleros champêtres force presque le sourire : des seaux de cailloux, des boules de glaise, des bouses de vache, des bouts de bois, des ballons remplis de peinture et des préservatifs pleins d’excréments. J’ai assisté à des séances d’essai peu concluantes de patators (lanceurs de patates), de catapultes ou d’arcs aussi peu précis que puissants… Pendant la première semaine d’affrontements (fin août), j’ai vu des cocktails molotovs jetés sur des gendarmes. Mais les opposants ont assez rapidement abandonné cette arme dont l’utilisation était considérée vaine et ne faisait pas l’unanimité. (...)

C’est sur un autre terrain qu’argumente Gandalf pour discréditer l’usage de la violence : “Mon objectif à court terme est l’arrêt du barrage. Mais mon objectif à long terme est l’émancipation de tous les êtres vivants, gendarmes compris. Et on n’émancipe personne en lui jetant des cailloux”, pense-t-il. Pour lui, le combat principal est celui de l’opinion publique et il est persuadé qu’ils ne le gagneront pas en donnant aux médias et aux autorités des occasions de faire passer les occupants pour de dangereux extrémistes. Si, au contraire, « les gens étaient formés au pacifisme et à l’action directe non-violente, on serait plus efficaces”, dit-il en mentionnant les personnes dans les arbres et les autres enterrées dans le chemin qui, selon lui, sont celles qui ont le plus ralenti les forces de l’ordre et sensibilisé les riverains à leur cause. (...)

Il comprend que les violences policières poussent certains à se radicaliser, mais rappelle que des personnes d’habitude violentes ont épousé des actions non-violentes après avoir passé du temps sur place (...)

ils sont plusieurs à penser que les actions violentes peuvent être du fait d’éléments infiltrés. Ainsi, en assemblée générale, un homme invite ses camarades à faire « attention aux gens que vous ne connaissez pas et qui vous proposent des missions dangereuses. Ce sont soit des inconscients, soit des infiltrés”.

Sur la ZAD deux visions, deux stratégies de lutte, sont représentées. “La question est de savoir comment les faire cohabiter”, analyse Samia. Chose qui n’a rien d’évident. (...)

De sensibilité libertaire, les zadistes sont nombreux à revendiquer le droit à l’action individuelle sans demander l’aval du collectif. Mais Gandalf assure que “la cohabitation entre stratégie violente et non violente dans la lutte est impossible. Les violents imposent leur choix aux autres”, pense-t-il. Mais l’inverse est tout aussi vrai. “Plusieurs personnes sont parties car on leur reprochaient d’être trop agressives envers les flics. Il ne faut pas neutraliser les stratégies de lutte des autres”, dénonce une jeune femme énergique. (...)

Contrairement à Gandalf, ils sont nombreux à penser que la cohabitation est possible et nécessaire. Pendant la préparation du repas du soir, je demande à un petit groupe quelle forme pourrait prendre cette cohabitation. « On pourrait choisir collectivement de mener une action violente un jour, une action non violente le lendemain et un mix des deux le troisième jour. En plus, ça nous rendrait totalement imprévisibles », dit l’un des cuisiniers en découpant une pomme de terre. « Il faut s’organiser pour qu’il y ait les pacifistes d’un côté et les violents de l’autre, comme ça ils ne sauront plus où donner de la tête, les deux groupes se protègeraient mutuellement et avanceraient ensemble », propose sa voisine. Mais un autre fait valoir qu’il est impossible de discuter de stratégie collectivement en raison de la présence supposée d’indicateurs. C’est d’ailleurs la raison qui pousse les plus expérimentés à mener leurs actions en petits groupes affinitaires sans en référer au collectif. Alors que nous discutons, une personne nous interrompt : « Il n’y a pas de segmentation entre violents et non violents. Certains font des actions de clown le matin et jettent des pierres l’après-midi, tout dépend de la situation ».

S’il n’y a pas de ligne stratégique partagée par l’ensemble des occupants de la ZAD du Testet, deux idées au moins font consensus : le recours au sabotage des machines et la nécessité d’être plus nombreux pour faire reculer les forces de l’ordre et surtout leurs donneurs d’ordre. Pour le moment, les zadistes ont échoué sur ces deux terrains.

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