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Basta !
Syrie : « Le meilleur cadeau que l’on peut faire aux djihadistes serait de maintenir Bachar al-Assad aux commandes »
19 AVRIL 2017
Article mis en ligne le 3 mars 2018
dernière modification le 2 mars 2018

(...) Si Bachar al-Assad venait à tomber, l’Europe serait-elle plus exposée au terrorisme ? L’opposition syrienne n’est-elle, comme on l’entend parfois, plus composée que de groupes djihadistes ? La tendance révolutionnaire et démocratique est-elle encore en capacité de se relever malgré un conflit qui a provoqué six millions d’exilés, sept millions de déplacés internes, 500 000 morts et 200 000 disparus ? Pour répondre à ces questions, qui touchent autant à l’avenir de la Syrie qu’à celui des sociétés européennes, Basta ! s’est entretenu avec le politologue franco-libanais Ziad Majed, spécialiste du Proche-Orient.

(...) Je pense que l’attaque chimique, comme en 2013, visait à tester la nouvelle administration américaine. Il est impossible qu’Assad ait agi sans l’aval des Russes et des Iraniens ; ce serait pour lui un risque énorme. Désormais, la réaction américaine est identifiée. Depuis, les Russes et l’armée du régime intensifient leurs frappes sur les mêmes zones, sans armes chimiques mais avec des bombes incendiaires. Ils veulent montrer leur détermination (...)

Ce que demandaient les révolutionnaires à leurs soutiens occidentaux, lorsqu’ils sont passés à la lutte armée, c’était de leur fournir des missiles anti-aériens pour lutter contre l’aviation du régime. L’administration Obama a refusé de leur fournir ces armes, et a fait pression sur d’autres États pour qu’ils suivent cette ligne. En 2012, lorsque le régime a commencé à utiliser l’aviation, ainsi que des missiles balistiques Scud, c’était pourtant le moment d’agir : Daech n’existait pas, et le Front al-Nosra, alors affilié à Al-Qaïda [2], était encore une fraction assez marginale. Il y avait en revanche l’Armée syrienne libre, ainsi que des mouvements islamistes syriens non-djihadistes, que la plupart des acteurs régionaux et occidentaux connaissaient bien.

Mais la priorité américaine était la négociation sur le nucléaire iranien, et un désengagement militaire, faisant suite à leur retrait d’Irak et d’Afghanistan. Ce qui a encouragé le régime et ses alliés à être plus fermes encore. La rébellion n’a demandé un bombardement des aéroports militaires et des bases d’artillerie du régime qu’en août 2013, au moment du massacre chimique de la Ghouta, dans la périphérie de Damas. Mais Obama a fait machine arrière. C’est alors qu’est intervenu le deal pervers qui a permis à Bachar al-Assad d’échapper à toute sanction, en échange d’une restitution de son stock de gaz sarin. (...)

. Et les bombardements classiques ont continué, puis les bombardements utilisant les barils explosifs et le chlore, causant plus de 100 000 morts civils.

Quand on voit, sur le temps long du conflit, la réticence des États-unis et de l’Europe à soutenir réellement l’opposition, on semble bien loin de la thèse d’une guerre qui serait au service de l’« impérialisme occidental », ou pilotée de l’extérieur pour s’approprier les ressources du pays, comme on l’entend parfois...

Malheureusement sur le Moyen-orient, les théories du complot sont toujours florissantes. Cela s’explique par un contexte particulier : des ressources importantes, notamment pétrolières et gazières, la position stratégique de la région, ou encore le conflit israélo-arabe, qui a nourri un sentiment de deux poids deux mesures. Ensuite, par des expériences récentes : la fabrication américaine de fausses preuves pour justifier l’invasion de l’Irak en 2003, et l’intervention en Libye, où la résolution 1973 des Nations-unies destinée à protéger les populations a été utilisée pour précipiter la chute du régime. La conséquence est qu’en occident, dans certains milieux à gauche, un discours officiel hostile à l’un des régimes arabes est immédiatement taxé d’« impérialisme », et de volonté « interventionniste » cachée derrière la question des Droits de l’homme.

Les sociétés arabes et leurs populations sont absentes des analyses de la majorité des « experts » occidentaux (...)

Mais la Syrie n’est pas le bon endroit pour les obsessions pétrolières et gazières ! Il y a du pétrole et du gaz, oui, mais pas en quantité importante. Il s’agit surtout d’une révolution dont il faut comprendre les causes profondes, de la lutte d’un peuple pour sa liberté, qui s’est transformée en lutte armée puis en guerre totale. La base du problème est là. Dans les discours politiques dominants, en France par exemple, on ne voit plus que les rivalités entre les grandes puissances, le conflit entre sunnites et chiites… Certains ne peuvent s’imaginer qu’une société à majorité musulmane puisse lutter pour la dignité et pour sa liberté. Non, pour eux, ce sont sans doute des télécommandes qui ont fait descendre des millions de personnes dans la rue ! (...)

Je me demande quels êtres humains sont capables de manifester contre une frappe visant un aéroport militaire, tuant des militaires syriens et détruisant des appareils qui attaquaient des civils, sans jamais protester contre le massacre de 200 000 civils par le régime et ses alliés. Je me demande comment on peut rester silencieux face aux massacres quotidiens qui durent depuis six ans, puis dénoncer une « guerre impérialiste », parce qu’il y a eu 59 missiles tirés sur une base militaire du régime. Aucun civil tué, aucune destruction aux alentours, juste une base militaire, qui semait la mort et la terreur, qui massacrait des enfants. Pour moi, c’est le comble. (...)

Parmi les six millions d’exilés, dont cinq millions qui sont encore dans les pays voisins, il y a beaucoup d’activistes de la révolution syrienne, de membres des comités de coordination qui organisaient les manifestations et les sit-in, qui filmaient les événements. Des milliers de leurs camarades ont perdu la vie ou croupissent encore dans les prisons du régime. Il est important que ceux qui en ont réchappé puissent revenir un jour en Syrie. Mais tant qu’Assad sera au pouvoir, ces gens, comme la grande majorité des réfugiés, ne rentreront pas.

Pour qu’ils rentrent, il faudra aussi un processus de reconstruction, avec une aide internationale. La Russie demande à l’Europe de financer ! Mais financer, avec Assad au pouvoir, reviendrait à consolider son régime et à lui offrir une nouvelle vie ! Il faut une transition dans la justice, excluant ceux qui, dans les renseignements, l’armée, les prisons, sont coupables de crimes. Mais il ne faut pas reproduire l’erreur irakienne, en purgeant la totalité des responsables du régime. Il faut des réformes, mais l’appareil étatique doit être préservé : l’électricité, l’eau, les infrastructures... Un système décentralisé est également nécessaire, pour donner leur place aux différentes composantes de la société syrienne : les courants politiques, les régions, les communautés, la population kurde. Mais encore une fois, la condition préalable est le départ d’Assad et de son clan. (...)