
Si, dès le début du confinement, les appels à la continuité pédagogique se sont multipliés sur les boites mail de tou.te.s les universitaires, rares sont les responsables de l’enseignement supérieur qui se sont préoccupé.e.s de savoir comment les milliers d’étudiant.e.s resté.e.s confiné.e.s dans les quelque 700 résidences CROUS (Centres régionaux des œuvres universitaires et scolaires) de France allaient pouvoir continuer à se nourrir décemment après la suspension de leurs activités rémunérées et la fermeture de la quasi-totalité des restaurants universitaires et épiceries solidaires.
Pour ces étudiant.e.s, le confinement a parfois signifié être isolé.e.s dans une chambre de 9 mètres carrés au sein d’un bâtiment où la présence de nuisibles (cafards, puces, punaises de lit) relève plus de la règle que de l’exception [1]. Aujourd’hui, après les nombreux témoignages d’étudiant.e.s qui ont avoué n’avoir parfois pas pu se nourrir plusieurs jours de suite [2], après les enquêtes qui ont révélé, une fois de plus, les conséquences dramatiques d’une précarité aggravée par le confinement, notamment sur les résident.e.s du CROUS, il apparaît que la question qui méritait d’être posée en premier lieu n’était pas celle de la continuité pédagogique, mais bien celle de la continuité alimentaire.
Ce problème de la précarité étudiante n’est évidemment pas nouveau. (...)
enquête de l’Observatoire de la vie étudiante et l’INSEE en 2016 : plus de 20% des étudiant.e.s vivent en dessous du seuil de pauvreté, seulement 45 % des étudiant.e.s déclarent avoir assez d’argent pour couvrir leurs besoins mensuels, 46% des étudiant.e.s travaillent pendant leurs études (avec des effets manifestes sur leurs résultats et sur leur niveau de stress) et 13,5% des étudiant.e.s ont déjà renoncé à voir un médecin pour des raisons financières (...)
Certes, le Ministère de l’Enseignement Supérieur, de la Recherche et de l’Innovation a annoncé, à la fin du mois de mars, le déblocage de 10 millions d’euros destinés à renforcer le dispositif des aides financières annuelles ; et les universités ont, elles aussi, parfois réagi à l’annonce du confinement en déployant des aides de quelques centaines d’euros par étudiant.e (200 euros à l’Université de Bordeaux, 150 euros à l’Université Paris I, etc.). Ces mesures sont bienvenues même si elles sont malheureusement insuffisantes vu l’ampleur de la précarité étudiante. Plus encore, les procédures administratives d’accès à ces droits, souvent lourdes et complexes, excluent une large partie des bénéficiaires, notamment les étudiant.e.s étranger.ère.s, peu familier.ère.s de l’administration française. Or, environ deux tiers des étudiant.e.s étranger.ère.s sont resté.e.s confiné.e.s en France (...)
Par ailleurs, Édouard Philippe a récemment annoncé une aide supplémentaire de 200 euros, mais cette somme, de nouveau insuffisante, ne concernera que 800 000 étudiant.e.s (soit un.e étudiant.e. sur deux) ; ne bénéficiera pas aux étudiant.e.s précaires de plus de 25 ans et ne sera pas versée avant le mois de juin – sans que l’on sache, là encore, si les étudiant.e.s étranger.ère.s, pour beaucoup bloqué.e.s en France jusqu’à l’automne prochain, y auront accès.
Partant du constat que le confinement ne pouvait qu’accentuer encore davantage les inégalités sociales entre les étudiant.e.s, nous, étudiant.es, doctorant.e.s et personnels de l’ESR, avons fondé dans l’urgence trois collectifs, à Bordeaux (collectif « Solidarité Continuité Alimentaire », qui a lancé l’initiative dès les premiers jours du confinement), Lyon (collectif « Solidarité étudiante ») et Paris (collectif « Solidarité alimentaire »), visant à distribuer des colis composés de produits d’alimentation et d’hygiène fondamentaux (pâtes, conserves, serviettes hygiéniques, etc.) aux étudiant.e.s resté.e.s confiné.e.s pour compenser l’inaction locale des organisations institutionnelles. Cependant, si la situation est actuellement déplorable, elle ne pourra pas sensiblement s’améliorer après le confinement : les étudiant.e.s peinent à retrouver un emploi en cette période où le télé-travail est largement recommandé et où les entreprises liées au tourisme et à la restauration demeurent fermées. De plus, la réouverture des restaurants universitaires n’est toujours pas à l’ordre du jour et le retour dans les domiciles familiaux – si celui-ci est envisageable – est en partie empêché par les restrictions de déplacements tant au niveau national qu’international. (...)
Nous demandons donc que les étudiant.e.s qui ont été confiné.e.s dans les CROUS soient totalement exonéré.e.s de tout paiement relatif à leur logement, afin d’alléger la pression financière qui s’est exercée encore plus durement sur elles et eux durant cette période : remboursement des loyers des mois de mars, d’avril et de mai. Au-delà d’une telle action d’urgence, il convient que l’État prenne enfin conscience de la situation (...)
Outre la revalorisation des bourses étudiantes, il est donc impératif de mettre en place, pour l’ensemble des étudiant.e.s, sans restriction d’âge ni de nationalité, des mesures pérennes à la hauteur des enjeux, comme le salaire étudiant pour tous et toutes.