
L’accueil des demandeurs d’asile s’ouvre aux marchés financiers. C’est ce que prévoit le nouveau modèle de gestion des centres « Pradha », chargés de l’hébergement des personnes demandant l’asile. Ces centres – d’anciens hôtels bas de gamme – seront gérés au quotidien par une filiale de la Caisse des dépôts sous contrôle du ministère de l’Intérieur, et sont en partie financés par le privé, grâce à un fonds d’investissement dédié. Côté accueil, accompagnement, insertion et encadrement, les coûts sont réduits au minimum, mais les partenaires du fonds – la BNP, Aviva, la CNP assurances ou la Maif – espèrent en tirer des bénéfices. Bienvenue dans l’« action sociale » du 21ème siècle.
Fin 2016, le ministère de l’Intérieur lançait un appel d’offre sans précédent pour la création de plus de 5000 places d’hébergement pour demandeurs d’asile, suite notamment à l’évacuation du camp de Calais. Le Programme d’accueil et d’hébergement des demandeurs d’asile (Prahda) vient s’ajouter à la myriade de dispositifs d’accueil qui sont déjà en place. Il prendra la suite des Centres d’accueil et d’orientation, créés dans la précipitation. Cependant, le Prahda innove : il s’agit du premier dispositif d’hébergement financé par l’intermédiaire d’un fonds dit « à impact social », un système venu du Royaume-Uni. Son principe : faire financer des programmes sociaux par des investisseurs privés, tout en leur garantissant une rémunération substantielle.
Pour financer le Prahda, la Caisse des dépôts et consignations (CDC), via sa filiale CDC-Habitat [1] a donc lancé un fonds d’investissement, baptisé « Hémisphère ». Premier fonds à impact social d’une telle envergure en France, avec une capacité de 200 millions d’euros, Hémisphère est abondé pour moitié par un prêt de la Banque de développement du Conseil de l’Europe, tandis que six investisseurs institutionnels apportent les 100 millions restants : Aviva France, BNP Paribas Cardif, la CDC, CNP Assurances, la Maif, et Pro BTP. (...)
Un investissement privé rémunéré sur l’accueil des demandeurs d’asile
Pourquoi cet intérêt soudain des entreprises pour l’hébergement d’urgence ? CDC Habitat leur promet un taux de rémunération fixe de 3,5 %, le double de ce que rapporte un prêt immobilier à des particuliers. Celui-ci augmentera en fonction du degré de réussite des objectifs sociaux du projet, évalués en fonction d’un certain nombre d’indicateurs assez basiques : scolarisation des enfants, signature de contrats d’accueil... « Difficile d’imaginer de quelle manière ils pourraient ne pas être atteints », relève dans un tract le syndicat Sud logement social (rattaché à l’Union syndicale Solidaires). Comment et par qui seront évalués ces critères, et jusqu’à quel taux d’intérêt maximum pourra être rémunéré Hémisphère ? Mystère, en l’absence de réponse de la Caisse des dépôts sur son fonds d’investissement.
L’investissement pourrait être très rentable pour BNP Paribas Cardif ou Aviva. Probablement moins pour l’État. Si les promoteurs du projet mettent en avant les 40 % d’économies réalisées par rapport à un hébergement en chambre d’hôtel, aucun comparatif n’est établi avec une solution en hébergement public, type centre d’accueil des demandeurs d’asile (Cada). (...)
Entassés dans des chambres de 7 m2
Étant donné le coût du montage financier – notamment la rémunération des investisseurs – le projet implique la recherche d’économies par ailleurs. L’appel d’offre lancé par l’État impose au prestataire de mettre en place des conditions d’accueil au coût le plus faible possible : 16,5 euros par personne et par nuit, contre une vingtaine d’euros dans un Cada classique – soit 17,5% d’économies.
Les demandeurs d’asile sont notamment logés dans 62 vieux hôtels Formule 1 rachetés au groupe Accor par le fond Hémisphère, avec au passage le licenciement d’une grande partie des salariés hôteliers. Loin des centre villes, en bordure d’autoroutes ou de routes nationales et au sein de bâtiments vétustes, on entasse des familles de quatre personnes dans des chambres de 7 m2. (...)
Entassés dans des chambres de 7 m2
Étant donné le coût du montage financier – notamment la rémunération des investisseurs – le projet implique la recherche d’économies par ailleurs. L’appel d’offre lancé par l’État impose au prestataire de mettre en place des conditions d’accueil au coût le plus faible possible : 16,5 euros par personne et par nuit, contre une vingtaine d’euros dans un Cada classique – soit 17,5% d’économies.
Les demandeurs d’asile sont notamment logés dans 62 vieux hôtels Formule 1 rachetés au groupe Accor par le fond Hémisphère, avec au passage le licenciement d’une grande partie des salariés hôteliers. Loin des centre villes, en bordure d’autoroutes ou de routes nationales et au sein de bâtiments vétustes, on entasse des familles de quatre personnes dans des chambres de 7 m2. (...)
« Le Prahda est un endroit où l’on stocke les gens avant de les expulser »
Pour Camille [3], militante dans un collectif citoyen de soutien aux demandeurs d’asile à Appoigny, « il n’y a en réalité aucune volonté d’accompagnement social, parce que le véritable objectif c’est avant tout d’expulser ». (...)
La préfecture se déploie directement dans le Prahda pour délivrer les « invitations à quitter le territoire ». Cela, au sein même du bureau des assistantes sociales. Dans ces conditions, difficile d’établir des relations de confiance avec les résidents... « Les travailleurs sociaux sont en souffrance. Avec les assignations à résidence, ils font un travail de "maton" : ils notifient les départ, surveillent les allers et venues, dénonce Noémie, de Sud logement social. Par conscience professionnelle, certains démissionnent, alors qu’ils n’ont rien derrière. » Alors qu’Hémisphère annonçait un meilleur contrôle de la qualité de l’hébergement et de l’accompagnement, le fond sert en réalité d’instrument de financement – et de source de profit – sur des politiques migratoires répressives et indignes.
La mise en avant d’un « nouveau modèle pour l’action sociale » (...)
Exit, donc, les associations à but non lucratif.
André Yché, président controversé de CDC Habitat, ne cache pas son ambition « d’introduire davantage de culture entrepreneuriale dans la sphère publique ». Vincent Mahé, ancien banquier de BNP Paribas qui a rejoint CDC Habitat, défend également la logique du fonds Hémisphère comme un « nouveau modèle pour l’action sociale ».
Le communiqué de lancement du fond annonce : le dispositif « pourra aussi être étendu à d’autres champs de l’action sociale ». Les responsables associatifs et acteurs de la solidarité y voient quant à eux une remise en cause des missions de l’État et de la nature même du travail social.
Même selon l’OCDE, les financements publics sont plus efficaces (...)
Ironie du cas français : plusieurs des investisseurs du fond Hémisphère appartiennent à des groupes épinglés pour des pratiques d’évasion fiscale, notamment dans le cadre de Luxleaks (BNP Paribas, Aviva, CNP Assurance notamment). Si l’État considère manquer d’argent pour financer la création des milliers de nouveaux hébergements annoncés dans la loi asile et immigration, pourquoi ne pas commencer par renforcer ses capacités à recouvrer les impôts dus par ces sociétés ?