
Les éleveurs qui voudraient soigner leurs bêtes avec des substances naturelles sont dans la quasi-impossibilité légale de le faire, expliquent les auteurs de cette tribune. Qui proposent une réponse pour sortir de cette situation.
La situation actuelle par rapport à la législation encadrant l’utilisation des plantes médicinales et les huiles essentielles en élevage oppose deux obligations en totale contradiction. C’est ce qu’on appelle en psychologie la « double contrainte » ou « double bind » (théorisé par Gregory Bateson en 1956) : une situation de paradoxe imposé ; deux obligations ou injonctions contradictoires sont reçues, qui, s’opposant mutuellement, induisent une impossibilité logique à en exécuter une sans contrevenir à l’autre.
Et c’est bien de cela qu’il s’agit puisque nous avons d’un côté la réglementation sur le médicament vétérinaire (article L5111-1 du Code de la santé publique) et de l’autre les obligations mentionnées dans le cahier des charges européen de la bio. (...)
Pour résumer, toute substance végétale susceptible d’apporter un effet curatif ou préventif est classée obligatoirement comme médicament et donc ne peut être utilisée par l’éleveur que sur prescription par un vétérinaire et dans certaines conditions : comme très peu de médicaments à base de plantes disposent d’une autorisation de mise sur le marché (AMM), le vétérinaire ne peut prescrire ces médicaments qu’uniquement dans le cadre de la « cascade » (article L.5143-4 du Code de la santé publique), c’est à dire dans le cas d’absence de médicaments « appropriés », et seulement si ces substances possèdent une LMR (limite maximale de résidus) ou en sont exemptés. Voilà qui limite grandement (voire interdit) la possibilité d’utiliser de la phytothérapie ou des huiles essentielles avant des antibiotiques, des anti-inflammatoires ou des antiparasitaires.
Si toutefois un vétérinaire s’acharne à braver cette interdiction, il devra obligatoirement mentionner sur son ordonnance un délai d’attente de 7 à 56 jours selon les produits et situations. (28 jours pour la viande, 7 jours pour le lait et les œufs en agriculture conventionnelle. En agriculture biologique, le délai est doublé : 56 j pour la viande, 14 j pour le lait.) L’éleveur a d’autre part obligation de mentionner ces traitements dans son registre d’élevage.
Examinons maintenant le texte du cahier des charges européen de la bio.
1.5.2.2. Les maladies sont traitées immédiatement pour éviter toute souffrance à l’animal. Lorsque le recours à des produits phytothérapeutiques, homéopathiques ou autres est inapproprié, des médicaments vétérinaires allopathiques chimiques de synthèse, y compris des antibiotiques, peuvent être utilisés si nécessaire, dans des conditions strictes et sous la responsabilité d’un vétérinaire. En particulier, les restrictions relatives aux traitements et au temps d’attente doivent être définies.
1.5.2.3. Les matières premières d’origine minérale pour aliments des animaux ou les additifs nutritionnels (dont l’utilisation est autorisée en production biologique conformément à l’article 24) ainsi que les produits phytothérapeutiques et homéopathiques sont utilisés de préférence aux médicaments vétérinaires allopathiques chimiques de synthèse, y compris aux antibiotiques, à condition qu’ils aient un effet thérapeutique réel sur l’espèce animale concernée et sur l’affection pour laquelle le traitement est prévu.
Conclusion : nous sommes bien dans le cas de la « double contrainte », c’est à dire face à deux législations qui se contredisent…
La solution : sortir les plantes médicinales de ce statut de médicament (...)
Plusieurs collectifs d’éleveurs et d’intervenants en élevage travaillent aux moyens d’obtenir des pouvoirs publics un statut intermédiaire (ni complément alimentaire ni médicament vétérinaire) pour une liste de substances d’origines végétales, afin que leur usage par les éleveurs soit possible dans le soin des animaux, sous condition de qualité des plantes utilisées, et de formation auprès de personnes expérimentées. (Institut technique de l’agriculture biologique, Collectif pour la santé naturelle en élevage...).
Pour l’instant, la plupart des plantes utilisées en élevage figurent dans les listes des compléments alimentaires ou dans la liste des 148 plantes médicinales autorisées à la vente par des non-pharmaciens. Il suffit donc d’utiliser ces plantes en évitant d’évoquer leurs actions curatives ou préventives… Dans ce cas, exit l’automédication qui se transforme en distribution d’aliments… mais cela exclut toute application locale de cataplasme de plantes ou de préparations à base d’huiles essentielles, pourtant largement utilisées, et avec succès, dans le soin aux animaux d’élevage. On parlera alors de cosmétique pour animaux… (...)
Précisons que lorsque l’on commence à surveiller son langage et à contrôler son vocabulaire pour éviter les ennuis, dissimuler les actions justes, c’est un signe du glissement imperceptible vers un état totalitaire...