Bandeau
mcInform@ctions
Travail de fourmi, effet papillon...
Descriptif du site
Basta !
« Si tu veux découvrir ce que c’est qu’être gens du voyage, il faut que tu le deviennes toi-même »
#gensduvoyage
Article mis en ligne le 23 mars 2023

Dans un livre, l’anthropologue Lise Foisneau décrit le quotidien des Roms dits « Hongrois », qui vivent en France depuis un siècle et demi, entre vie collective, transmission de la mémoire, contrainte de l’État et traque policière. Bonnes feuilles.Dans un livre, l’anthropologue Lise Foisneau décrit le quotidien des Roms dits « Hongrois », qui vivent en France depuis un siècle et demi, entre vie collective, transmission de la mémoire, contrainte de l’État et traque policière. Bonnes feuilles.

Les Roms dits « Hongrois » vivent France depuis la fin du 19e siècle. En les classant comme « gens du voyage » dès lors qu’ils continuent de circuler en caravane, l’administration les oblige à habiter sur des « aires d’accueil » souvent situées aux abords de zones industrielles polluées. À travers une ethnographie en caravane, l’anthropologue Lise Foisneau décrit au plus près leur attachement aux lieux, les traumas invisibles de la Seconde guerre mondiale, la transmission de la mémoire. Mais aussi la traque policière et administrative, l’ouverture des « places », et la quête d’endroits où s’arrêter. En dépit des persécutions du 20e siècle et de la privatisation croissante de l’espace public, ces compagnies ne cessent depuis 150 ans de reconfigurer leurs mondes. L’ouvrage de Lise Foisneau Kumpania : vivre et résister en pays gadjo en décrit la chair et la vivacité.

Nous publions ici un extrait de l’introduction.

Kumpania : vivre et résister en pays gadjo (...)

Sous la toile de Marco, la tension était à son comble : nos voisins nous soupçonnaient d’être des « schmitts », des policiers, et nous les suspections d’être des voleurs. Comment en étions-nous arrivés, les uns et les autres, au bout d’un mois de cohabitation, à tomber dans les travers les plus prévisibles de ce qui prenait alors la forme d’un drame ?

Avant d’habiter sur l’aire d’accueil, j’avais pourtant pris des précautions pour qu’on ne me prenne pas pour une représentante de l’administration française : j’avais tiré les leçons des enquêtes antérieures menées par des chercheurs auprès de personnes appartenant à la catégorie française de gens du voyage. La plupart de ces enquêtes avaient été conduites par des ethnologues introduits sur leur terrain par une association ou dans le cadre d’un travail social.

Or, la façon dont on entre sur un terrain joue un rôle déterminant, le risque étant, en l’occurrence, de basculer du côté de ceux que les gens du voyage appellent les « surveillants », et d’être considéré comme un auxiliaire de l’administration. Comment accéder aux aires d’accueil des gens du voyage sans tomber dans ce piège ? (...)

Ma chance en entamant ce travail de recherche a été d’en partager le projet avec mon compagnon, Valentin. Celui-ci n’avait figuré sur aucun bail depuis plus de six mois et pouvait justifier d’un travail itinérant.

Lorsque nous nous rendîmes au service des forains de la préfecture, il put ainsi remplir toutes les conditions requises pour devenir gens du voyage. En tant qu’homme, il entrait parfaitement dans la catégorie patriarcale de « chef de famille » sur laquelle s’appuyait encore alors l’administration française. Munis d’un livret de circulation et de notre statut de gens du voyage, il ne nous restait plus qu’à acheter une caravane et à rejoindre notre terrain. (...)

Lise Foinseau est anthropologue, chargée de recherche au CNRS. Elle a notamment publié Les Nomades face à la guerre (1939-1946), éditions Klincksieck, 2022.