
A la tête d’une liste d’alliance de la gauche écologiste et de citoyens, Eric Piolle est élu maire de Grenoble en mars 2014. Depuis, la ville reste un laboratoire, inédit en France, où travaillent ensemble dans une même majorité des élus issus d’EELV, du Parti de Gauche – rallié depuis à la France insoumise – et de mouvements citoyens. A quelques semaines de l’élection présidentielle, Eric Piolle plaide pour un large rassemblement. Il propose à Benoît Hamon, Jean-Luc Mélenchon et Yannick Jadot de se désister au profit de Nicolas Hulot. L’objectif ? Mettre fin à « la guerre des gauches » pour porter au pouvoir une « majorité culturelle de transformation ». Entretien.
Eric Piolle [1] : Les candidats ont une responsabilité historique, celle de rendre possible cette majorité culturelle de transformation qui se dessine dans la société. Mais pour l’instant, les logiques d’appareil mettent en danger cette majorité culturelle et empêchent l’émergence de ce mouvement de fond. Pourtant, les primaires ont exprimé un choix clair, à gauche comme à droite d’ailleurs : un nettoyage de tout ce que l’on ne veut plus voir en politique. C’est une réelle opportunité de mettre fin à la guerre des gauches, latente depuis plus de 15 ans.
Avec la fin du double septennat de François Mitterrand et l’absence totale de projet politique de la part du Parti Socialiste, ce parti s’est transformé en syndicat d’élus cherchant à éviter l’effondrement par des rafistolages du système. C’est ainsi qu’on est tombé dans la dérive libérale et autoritaire de Manuel Valls. Mais à l’intérieur du PS cohabitent des prismes extrêmement différents. Si, jusque-là, c’est la ligne libérale – avec Strauss-Kahn avant Manuel Valls – qui dominait, il y a désormais, en face, un nouvel espace, dans lequel se retrouvent la société civile et les projets de la France Insoumise ou d’EELV, qui portent l’idée d’un nouveau modèle.
Comment qualifieriez-vous ce nouveau modèle, quels en sont ses piliers ?
Il ne s’agit plus de gérer l’effondrement du système d’après-guerre, mais de construire une nouvelle société d’acteurs en réseau. Ce nouveau modèle est clairement assis sur l’idée du bien commun et du faire ensemble. Cela suppose un renouveau démocratique, tant dans la pratique des élus que dans le rapport entre société civile et sphère politique. C’est surtout un autre regard sur les solidarités et l’environnement (...)
Aujourd’hui, il existe suffisamment de visions partagées pour construire un espace de travail à vocation majoritaire. Le débat d’idées ne doit pas se limiter aux périodes électorales : il faut gouverner tout en continuant à réfléchir, à échanger, à faire une place à la nouveauté. On a vu par le passé comment un gouvernement qui abdique sur la vision et se coupe de la société civile finit par s’enfermer petit à petit dans la gestion à courte vue. (...)
Tout reste ouvert, encore, mais la fenêtre de tir court sur les quinze prochains jours, maximum. C’est un exercice difficile parce que les logiques de campagne d’un côté et de primaire de l’autre amènent naturellement à vouloir continuer de porter l’intégralité de son projet. Pour moi, dans les discussions actuelles, rien ne se fera sans Jean-Luc Mélenchon, qui a une vraie dynamique depuis plusieurs mois ainsi qu’une attention aux plus fragiles dans son programme. Ce sont des éléments structurants qu’il ne faut pas perdre de vue. (...)
Cela prend beaucoup de temps de sortir d’une logique de contre-pouvoir pour construire un pôle à vocation majoritaire. A Grenoble, c’est ce qui nous a pris le plus de temps. Nous nous y sommes préparés plus de trois ans avant les municipales de 2014. C’est difficile de construire un rassemblement, cela veut dire abandonner ses couleurs et ne plus aborder les sujets uniquement sous son propre prisme idéologique. Cela ne peut se faire qu’autour d’un projet commun, préalable au soutien des formations politiques qui vient ensuite. C’est ainsi que l’on s’impose aux logiques de parti, même si je ne suis pas pour leur disparition en tant que tel : il faut une permanence des valeurs, des capacités de formation des militants et des élus, et des moyens logistiques que les partis amènent. Mais il faut les déborder pour les empêcher de se transformer en système de gestion, là où ils doivent être un vecteur de transformation.