
Menacés par les JO, les jardins ouvriers d’Aubervilliers se mobilisent ce 17 avril. Parce que, comme leurs occupants, ils sont beaux et vitaux, c’est en photos que Basta ! raconte cette nouvelle lutte du pot de terre contre le pot de fer (et de béton).
Pour l’automobiliste pressé de la D27 reliant Aubervilliers à Bobigny, dans le nord-est de Paris, les jardins ouvriers des Vertus passeraient presque inaperçus derrière leurs grilles végétalisées. Leur superficie initiale de 62 000 m² a été amputée au fil des ans d’environ deux-tiers, notamment par la construction d’un grand parking près du métro. Les 26 000 m² actuels sont divisés en 85 parcelles gérées par une association créée en 1935. Mais le futur des jardins s’est obscurci quand, au début de l’été 2020, le projet de construction d’un complexe aquatique aux dimensions démesurées – avec piscine olympique et solarium – est venu menacer de destruction 18 parcelles des jardins ouvriers, soit 4000 m² (...)
D’autres risques pèsent à plus long terme avec l’aménagement d’une gare de métro de la ligne 15 du Grand Paris Express et d’un « écoquartier » sur la ZAC du Fort d’Aubervilliers. Ces chantiers sont portés par la société du Grand Paris Aménagement (GPA), qui est restée suffisamment vague lors de la consultation des habitant.es, pour que la menace pesant sur les jardins ne soit pas flagrante. Meriem Derkaoui, l’ancienne maire d’Aubervilliers (PCF), a signé le marché avec le groupe de BTP Spie Batignolles pour construire le centre aquatique en juin 2020 pour un montant de 33, 6 millions d’euros. La nouvelle maire Karine Francklet (UDI) ne remet pas en cause le projet : « Je ne veux pas qu’on dise que ce n’est qu’une ville de pauvres. C’est une ville qui ne demande qu’à décoller. La piscine sera bonne pour l’image de la ville. »
« Compensation ? Ce sont des mots de technocrates ça »
Si les JO de 2024 sont un prétexte pour justifier la piscine olympique qui servirait uniquement pour l’entraînement des athlètes, ces aménagement sont en réalité pensés à plus large échelle, dans une dynamique de profond changement du quartier autour du Fort d’Aubervilliers. Dans cette zone cohabitent actuellement grands ensemble d’habitat populaire, friche du fort, et tours d’une ancienne caserne de gendarmerie. La société GPA voit grand pour attirer un public qui n’a plus les moyens de se loger à Paris et se montre sensible à la notion pourtant très floue d’ « écoquartier ». Toute la zone est une vraie aubaine pour des promoteurs pour qui la nature ne vaut que si elle devient une carte postale vendeuse.
GPA se veut bien sûr rassurant sur l’avenir des jardins en promettant qu’il y aura « compensation » pour les parcelles détruites. D’autres terres seraient mises à disposition dans des jardins situés dans la commune voisine de Pantin ou dans une autre zone du Fort d’Aubervilliers où un bois sauvage serait alors rasé. La notion même de « compensation » est cependant remise en cause par des jardinières et jardiniers qui travaillent depuis des années la terre de leur parcelle. (...)
Des jardins populaires où l’on entend parler kabyle, chinois, portugais, arabe...
À l’image d’Aubervilliers, les jardinier.es des Vertus sont d’origines diverses – plus d’une vingtaine de nationalités selon Gérard M. – et pour beaucoup issu.e.s de classe populaire. Si ces dernières années des personnes plus jeunes sont entrées, la majorité sont à la retraite et la moyenne d’âge tourne autour de 70 ans. Certain.es travaillent leur terre depuis plusieurs décennies. Entre les pépiements des perruches sauvages et des mésanges qui peuplent les arbres, on peut entendre parler kabyle, chinois, portugais, arabe... Pour la plupart, avoir un jardin est un retour à leur histoire familiale liée à leur région natale, comme en témoigne Mohammed qui cultive un jardin depuis cinq ans. « Mes liens avec les jardins, ça remonte à loin. Déjà au Maroc je faisais partie d’une association pour la nature », explique-t-il.
Viviane, qui cultive un jardin depuis un an, évoque pour sa part une mère qui travaillait dans l’horticulture et un oncle paysagiste (...)
« Si on nous enlève les jardins, on nous enlève le cœur en même temps »
En Seine-Saint-Denis, troisième département le plus densément peuplé de France, et l’un des plus bétonnés et des plus pollués, le jardin permet d’échapper à la ville et offre une respiration. (...)
Beaucoup de jardinier.es mettent en avant le fait de cultiver des produits « bio », sans engrais, dont la saveur n’a rien à voir avec celle des produits de supermarché, comme l’explique Lotfi. (...)
Un lieu de transmission, d’apprentissage et de partage (...)
Les jardinier.es qui partent lèguent aux arrivant.es leur cabane, souvent une partie de leurs outils et de leurs cultures. Comme l’explique Gérard M., c’est la cooptation par un autre jardinier qui lui a permis d’apprendre à cultiver, lui qui n’y connaissait rien. Pour Dolorès, cette dynamique du partage pourrait incarner le futur des jardins (...)
« Avant le covid, toutes les écoles venaient ici »
Le partage, c’est aussi celui d’une mémoire, du temps où les maraîchers de la Plaine des Vertus alimentaient tout Paris en légumes. On retrouve cette histoire dans plusieurs ouvrages, et d’aucun.es affirment qu’une forme de permaculture serait née dans ces plaines maraîchères afin de pouvoir produire toute l’année. Une variété d’oignon, « l’oignon des vertus », aurait même été sélectionnée ici...
Régulièrement, des élèves des écoles de la ville visitent les jardins. Comme en témoigne Ursula, bien emmitouflée dans un manteau et bonnet sur la tête, devant un prunier décoré de guirlandes de Noël où est suspendue une mangeoire pour oiseaux : « Les enfants ne savent même pas comment ça se cultive, comment ça pousse les carottes ou les petits pois. Ils ne les voient qu’en surgelé ou dans les boîtes. Ici on a les enfants qui viennent des écoles du voisinage, mais pas cette année à cause du covid. » Ursula et son mari, Claude, cultivent ensemble depuis 2007 leur parcelle, qu’ils appellent leur « cadeau de Noël », et résument ce que leur apporte les jardins en deux mots : « liberté » et « partage ». (...)
Le jardin est aussi un lieu où inviter les proches à passer du temps. (...)
« Depuis deux ans et demi ça a complètement bouleversé ma vie. Ici il y a le bonheur de voir pousser les plantes. Chaque petit bourgeon qui éclot, c’est la vie qui rejaillit en moi. Mais il y a aussi quelque chose auquel je ne m’attendais pas et que je n’ai jamais attendu de ma vie, c’est le plaisir d’être avec les autres. »
« Il y a un nouveau virus, la bétonnerie »
Les jardinier.es sont également très conscient.es de l’importance écologique de leurs parcelles, et de l’absurdité de les détruire à l’heure où l’on parle de réchauffement climatique. Ils constituent un puits d’oxygène et permettent de rafraîchir une zone envahie par le béton. (...)
« Le jour où les bulldozers arrivent, je m’enchaînerai à mon cerisier et je ne bougerai pas »
Beaucoup de jardinier.es sont préoccupé.e.s depuis l’annonce du projet : si leur jardin disparaît, ce sera un choc dont il sera dur de se relever, comme en témoigne Gérard C. : « Ils vont détruire ces parcelles. Là il y a des arbres qui sont dans le fond, ce sont des arbres que j’ai plantés. Vous avez des arbres qui ont 70, 80 ans. Des cerisiers, des pruniers, des arbres que j’ai greffés. Voir ça passer sous les bulldozers... Vous vous rendez compte ? Je veux pas être là quand ça va se passer, je veux pas voir ça. » La création d’un collectif de défense des jardins ouvriers a pu faire refleurir les espoirs de certain.es, d’autant plus que leur combat a rencontré un écho grandissant dans les médias, y compris nationaux. À ce jour, la pétition pour sauver les jardins ouvriers des Vertus a réuni près de 45 000 signatures. Tous les samedis, des visites aux jardins sont organisées tandis que des banderoles et affiches de protestation commencent à fleurir autour des jardins et dans la ville. (...)
En février, des marques faites à la bombe fluo sont apparues dans les jardins sur du romarin, et sur des portillons, pour tracer la zone des jardins qui, d’après le projet, sera détruite et bétonnée. Autant de signes que le projet avance. Le terrassement lié à la construction du centre aquatique pourrait commencer dès ce printemps. La lutte des « potirons contre le béton » changera alors probablement de forme. Pour Élise, « le jour où les bulldozers arrivent, moi je m’enchaînerai à mon cerisier et je ne bougerai pas. »