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« Si l’écologie ne devient pas populaire, on est durablement en panne »
23 février 2016 / Entretien avec Clémentine Autain - porte-parole d’Ensemble !, l’une des composantes du Front de gauche. Elle est également codirectrice, avec Roger Martelli, du trimestriel Regards.
Article mis en ligne le 1er mars 2016
dernière modification le 25 février 2016

Il n’y a pas de mouvement social de grande ampleur. L’hégémonie culturelle est passée à droite : Eric Zemmour enchaîne les best-sellers, Alain Finkielkraut a été élu à l’Académie française, et des éditorialistes comme Élisabeth Lévy ont pignon sur rue, en tenant des propos proches de ceux du FN. Ce contexte social et culturel rejaillit sur le plan politique. On pourrait se dire que, depuis 2012, François Hollande a tué la gauche. Mais le processus vient de plus loin. François Hollande a été secrétaire du Parti socialiste de 1997 à 2008 et, de congrès en congrès, il a fait passer des textes d’accommodement au marché financier, intégrant le néo-libéralisme au projet du PS. L’affaire est parachevée par le fait qu’il nomme Manuel Valls au poste de Premier ministre, Valls qui a fait campagne lors de la primaire et n’y a même pas obtenu 6 % sur une ligne libérale et autoritaire. On arrive au bout d’un processus copié sur d’autres social-démocraties européennes, qui se sont refondées sur le même mode que le parti des Démocrates états-uniens.

C’est-à-dire ?

Un parti dans les clous de la logique capitaliste et productiviste, qui accompagne l’ordre existant au lieu de le contester, qui épouse la monarchie présidentielle et l’idéologie dominante.

(...) On observe à l’échelle européenne, mais aussi avec les communautés d’agglomération, les métropoles, que tous ces systèmes visent la « cogestion ». La cogestion, c’est la négation de la démocratie. C’est l’idée qu’il faut tout le temps trouver des consensus entre des parties qui devraient offrir des visions différentes de la société. À la fin, on se retrouve avec un ensemble de dominants qui décident loin du grand nombre, sans confrontation de projets. D’alternance en alternance, rien ne change, ou plutôt, tout va de plus en plus mal. (...)

Les expériences social-démocrates ont échoué partout en Europe. Nous portons le poids de ces défaites, c’est pourquoi nous avons un devoir de refondation. (...)

Pendant longtemps, on opposait réforme et révolution. Mais, comme on a des réformistes qui ne font pas de réformes et des révolutionnaires qui ne font pas de révolution, il faut trouver une tension nouvelle entre réforme et révolution. C’est-à-dire trouver des ruptures qui permettent de produire des révolutions. Par exemple, le féminisme est peut-être la plus grande révolution du XXe siècle. Et cela s’est fait par une succession de ruptures, sur les trois champs culturel, social et politique. Encore un autre chantier : le lien entre individu et collectif. La gauche a souvent mis l’accent sur le collectivisme en minorant l’émancipation individuelle. Nous devons mieux articuler les deux. (...)

ce qui n’émerge pas du tout, c’est une gauche qui sache dire comment vivre aujourd’hui l’égalité, la justice sociale, l’émancipation humaine, l’écologie. On y trouve des voix qui viennent du Front de gauche, des voix qui viennent du Parti socialiste, d’Europe Écologie-Les Verts, du mouvement social et du mouvement intellectuel critique. Et surtout, beaucoup de voix citoyennes qui ne se retrouvent pas dans le paysage politique d’aujourd’hui. Pour l’instant, ces forces sont atomisées, elles ne tiennent pas un discours qui permette au mot « gauche » de retrouver son tranchant, sa force et sa capacité à être comprise du grand public. (...)

Une nouvelle force politique va naître, elle aura une cohérence nouvelle, sociale et écologiste. Elle donnera de l’air à ce monde politique étouffant, et même écoeurant. (...)

Dans la société, il se passe beaucoup de choses du côté de l’invention de formes de vies, de pensées alternatives, sociales et écologistes. On l’a vu à Sivens, on continue de le voir à Notre-Dame-des-Landes et les Goodyear réfléchissent. Le livre de Thomas Piketty a été un best-seller. On le voit aussi dans la littérature. Certes, on a eu Houellebecq. Mais il y a aussi Virginie Despentes, qui a une représentation du monde totalement opposée à celle de Houellebecq tout en ayant aussi un succès indéniable. Je pense aussi à des choses beaucoup plus locales, à des gens qui ont envie de vivre autrement, qui essayent de produire différemment. Des actions qui ont l’air anecdotiques, comme le développement du troc, disent l’envie de retrouver du sens, de partager, de comprendre pourquoi on travaille, pourquoi on produit, à quoi sert la vie. Plein de gens ne pensent pas que le rêve des jeunes soit d’être milliardaire, comme le croit Macron. Qui pensent que le bonheur, ce n’est pas de courir derrière cette quête de fric et ce monde marchand qui est en train de nous tuer, qui tue la planète mais qui tue aussi nos désirs.

Mais ces mouvements refusent souvent une représentation politique…

C’est logique, car il y a une telle distance que cela ne parvient plus à se connecter. Même les artistes et les intellectuels n’arrivent plus à se connecter à nous, les politiques (...)

Et puis, il y a en ce moment quelque chose qui se cherche du côté d’une gauche plus tranchante, qui tienne tête au libéralisme économique. En Grèce, il y a quand même eu une gauche radicale qui a gagné dans les urnes. Podemos a percé en Espagne, le Portugal a viré à gauche, Corbyn est parvenu à la tête du Parti travailliste en Grande-Bretagne et il y a le phénomène Sanders aux États-Unis. Mais en France, ceux qui incarnent aujourd’hui la contestation du système « gauche »-droite – qui mène la même politique –, c’est le Front national. Et il a une longueur d’avance.

Pourquoi ?

Il a le premier réussi à se poser comme anti-système. Alors que, pour l’instant, notre gauche reste largement associée à LA gauche institutionnelle. (...)

Par ailleurs, le FN a fait un travail de renouvellement de ses représentants et de modernisation de son discours, même s’il s’agit toujours de promouvoir un projet néo-fascisant. Il joue des peurs, divise le peuple mais agite une sorte de fierté populaire. C’est nous qui devrions être associés à la défense de la dignité populaire ! (...)

Comment répondre, à gauche, à la question du moment, l’immigration ?

La première réponse à donner est que l’immigration n’est pas le problème numéro 1 des Français, que la corrélation entre immigration et chômage est totalement délirante et qu’il faut parler d’égalité, de comment va notre société. (...)